Écrire le mystère – 29

Les personnages du mystère

Dans un mystère, l'intrigue sera soutenue par des personnages avec un vécu qui n'est pas très reluisant ou dont on devine qu'ils cachent quelque chose que nous ignorons encore. Mais quelles sont leurs véritables intentions, se demande t-on ?
C'est précisément la question que soulève (2003) de Park Chan-wook. Le passé de Oh Dae-su est au cœur de l'intrigue. Le principe est le même dansThe Ghost Writer (2010) de Roman Polanski : le passé de Adam Lang ne nous sera dévoilé que progressivement et c'est bien cela qui constitue l'intrigue, qui lui donne son élan.

Nous avons une distinction à faire ici entre la biographie d'un personnage qui lui fournit un contexte et, bien-sûr, une profondeur psychologique et le passé en tant que constitutif de l'intrigue comme dans nos exemples.

La biographie même si tout ce qu'il s'y trouve ne se retrouve pas dans le récit est une aide précieuse pour l'autrice et l'auteur qui savent où ils vont avec un personnage. Ils connaissent ses motivations et ses comportements ou attitudes. Vous savez, comme dans la vraie vie, le passé s'invite dans le présent. Il influence naturellement le développement du personnage et ses décisions, c'est-à-dire son arc dramatique.
Et lorsque l'intrigue l'exige, alors des pans de ce passé sont montrés, soit par analepses parce qu'elles sont visuelles, soit dans les dialogues quand le recours à cette intrigue secondaire n'est pas réclamée par l'intrigue principale.

Mais le passé est aussi le moteur de l'intrigue quand il est au cœur du récit. Considérons deux lignes dramatiques : nous suivons le personnage principal à travers ses tribulations et pérégrinations et assistons à son évolution personnelle d'un côté et de l'autre, nous avons une ligne dramatique générale qui décrit les événements dans le monde.
Lorsque le passé est l'objet du récit, les événements dans le monde sont alors directement ou non concernés par ce passé. Ce peut être des secrets ou des actions passées qui justifient le présent du récit.

Contradictions

Dans la vraie vie, souvent on prétend être ou nous projetons une image de nous qui n'est pas nous. Mais parfois, nous agissons ou disons des choses qui surprennent autant autrui que nous-mêmes. Les personnages font aussi ces contradictions. Quelle utilité pour l'autrice et l'auteur de mystères ? Cela éveille en nous, lecteur/spectateur, des soupçons et de la méfiance envers un personnage. Ce peut être une fausse piste d'ailleurs. Vous multipliez les suspects et dans le whodunit, c'est vital. Lorsqu'une contradiction est révélée, vous créez un nœud dans l'intrigue ce qui l'oriente dans une autre direction. Témoin à charge (1957) de Billy Wilder use à satiété de ce procédé : que ce soit Christine ou Leonard, leurs deux personnages sont conçus de contradictions. Dans Un hold-up extraordinaire (1966) de Ronald Neame qui est un mélange de comédie et de thriller, les apparences sont toutes trompeuses.

La Dernière Cible (1988) de Buddy Van Horn, l'inspecteur Harry change de comportement lorsqu'il côtoie des criminels, quand il est avec Samantha et adopte même encore une autre attitude avec Al Quan, son collègue.
Et Dexter Cornell dansMort à l'arrivée (1988) de Annabel Jankel et Rocky Morton, il change radicalement de comportement selon les personnages qu'il rencontre, motivé qu'il est pour retrouver son meurtrier.

La Faille (2007), Ted joue à un véritable jeu du chat et de la souris non seulement avec Beachum mais avec nous aussi. Dans The Lookout (2007) de Scott Frank, l'évolution de Chris suit le changement de ses motivations. D'abord, il tente de s'accommoder à sa nouvelle situation, puis il est attiré par le mal (l'argent et le désir d'appartenance puisque sa communauté d'origine l'a rejeté depuis son accident), ensuite il prend conscience qu'il est sur une mauvaise voie, c'est alors son comportement avec Lewis qui en est le signe, et la fin de son arc dramatique met en avant son besoin de rédemption et de justice.

Ambiguïtés

Quand on a une idée de personnage, au tout début, elle est un peu nue. Ce qu'il faut éviter, c'est ce démon de manichéisme. Comme dans la vraie vie, nos actions seront jugées comme bien ou mal selon le regard qui se porte sur elles. Alors un personnage fera des choix qui annuleront la distinction que nous pourrions être amené à faire entre un personnage qui fait seulement le bien et un méchant de l'histoire.

Les actions seront ambiguës parce que c'est une question d'interprétation. Tous les criminels de Quand la ville dort (1950) de John Huston sont des personnages qui ont de vraies qualités humaines et tous ont des motivations tout à fait valables pour agir comme ils le font. Malgré leurs très contestables activités, on ne se laisse d'éprouver ou de la compassion ou du moins une compréhension. L'idée est approximativement la même dans L'ultime razzia (1956) de Stanley Kubrick. Quel que soit l'angle sous lequel on prend les personnages, leurs motivations sont dignes.