[Compétition]
De quoi ça parle ?
De la « disparition » de l’ancien député Rubens Paiva dans dans le Brésil des années 1970, sous dictature militaire, et du double combat mené par son épouse, Eunice Paiva (Fernanda Torres) pour connaître la vérité et faire condamner les responsables.
Pourquoi on aime les réapparitions de Walter Salles et Fernanda Torres ?
Cela faisait longtemps que Walter Salles n’avait pas tourné de long-métrage. Douze ans, exactement, depuis Sur la route, adaptation du roman de Jack Kerouac.
Il s’est décidé à reprendre la caméra pour raconter le combat mené pendant plusieurs décennies par Eunice Paiva pour découvrir la vérité sur la mort de son mari, enlevé par les hommes de mains d’Artur da Costa e Silva. Comme dans beaucoup de pays d’Amérique du Sud, le gouvernement démocratiquement élu a été renversé par un coup d’état, en 1964, et une dictature militaire a été installée, éliminant peu à peu les opposants politiques et toutes les personnes pouvant gêner le pouvoir en place. Rubens Paiva se pensait protégé par son appartenance aux classes aisées de Rio de Janeiro et son statut d’ancien membre du Congrès brésilien. Mais, à la fin de l’année 1970, de nombreux actes terroristes perpétrés au Brésil agacent fortement les autorités. En représailles, elles multiplient les contrôles arbitraires et les arrestations et enquêtent pour trouver les fauteurs de trouble. Le nom de Rubens Paiva se retrouve sur la liste des suspects potentiels. Il est arrêté à son domicile et emmené pour un bref interrogatoire – comprenez, une longue séance de torture qui, rassurez-vous, n’est absolument pas montrée à l’écran. Il n’en reviendra jamais. Mais plutôt que d’informer sa famille de sa mort, il se retrouve juste “porté disparu”. Il n’y a aucune trace de son interrogatoire, ni de son passage au poste de police. Eunice, qui a elle-même été interrogée quelques heures avant d’être relâchée, n’a guère de doute sur le sort de son mari. Dans ces régimes totalitaires, les méthodes étaient plus ou moins les mêmes. Les “disparus” étaient pour la plupart jetés en mer depuis un hélicoptère ou enterrés au fond de caves sordides. Mais sans preuves, impossible d’obtenir justice. Il faudra du temps pour que les témoins acceptent de parler, et encore plus pour que la vérité soit enfin révélée
Mais dans le film, Eunice mène aussi un autre combat. Elle cherche aussi à protéger ses enfants, préserver leur innocence dans cet environnement totalitaire et oppressant. Depuis le début de la dictature, son mari et elle avaient fait en sorte de pouvoir vivre une vie de famille à peu près normale, partageant des moments de complicité à la maison ou sur la plage pour que les enfants puissent ne pas grandir trop vite. Elle décide de continuer de la même façon, en ne laissant rien paraître de ses angoisses, puis de sa peine et de sa colère, à ses plus jeunes enfants.
I’m still here rend hommage au courage de cette femme, victime parmi tant d’autres de ce régime dictatorial cruel qui s’assurait le pouvoir en brisant les individus et en terrorisant la population. Eunice Paiva a vu sa vie basculer quand les hommes armés ont investi sa maison. Elle a vu l’amour de sa vie emporté par les bourreaux. Elle-même a été torturée physiquement et psychologiquement, a subi des intimidations. Mais elle n’a pas craqué. Elle a fait en sorte de protéger les siens, de continuer à vivre et se battre pour la démocratie et la vérité. Elle a incarne à sa manière la résilience du peuple brésilien, qui a su surmonter ces épreuves même si, comme le rappelle le cinéaste à la fin du film, les responsables de ces “disparitions” n’ont jamais été inquiétés.
Dans le rôle, Fernanda Torres livre une performance d’actrice mémorable, constamment juste et dans la retenue. Dans une compétition où plusieurs stars peuvent prétendre à la Coupe Volpi de la meilleure actrice, elle pourrait bien créer la surprise au palmarès. Surprise relative, quand même, puisque, rappelons-le, l’actrice a déjà reçu un prix dans un festival prestigieux. C’était à Cannes, en 1986, pour Eu Sei que Vou Te Amar d’Arnaldo Jabor.
On espère que la présence du film dans la compétition vénitienne, et les prix éventuels que le jury voudra bien lui donner, permettront au film d’être diffusé plus largement, afin de rappeler à chacun les méthodes des états totalitaires et inciter à la prudence vis à vis des politiciens populistes bâtissant leurs programmes sur la promesse d’un “rétablissement de l’ordre” par des mesures répressives. Car hélas, les gens ont parfois la mémoire courte vis à vis de l’histoire. C’est d’ailleurs le bref mandat de Jair Bolsonaro qui aura poussé Walter Salles à repasser derrière la caméra et raconter cette histoire poignante. Voilà au moins une chose que ce politicien inconséquent aura fait de bien…
Contrepoints critiques :
”On ressort du film la gorge nouée, envahi par ce mélange d’unité d’une famille nombreuse et de solitude d’une mère qui aura porté sa cohésion sur ses épaules pendant des années.”
(Olivier Bachelard – Abus de ciné)
”Eunice is stoic, almost saintly in her devotion to family, the expressions of which never manage to elevate I’m Still Here from visual flatness, its surprisingly deep commitment to conventional shot continuity, and an overblown duration of 135 minutes. (…) The film feels uncalibrated, but not in the free-flowing, depth-exploring, liberated kind of way.”
(Savina Petkova – The film stage)
Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – Copyright Alile Onawale