[Hors compétition]
De quoi ça parle ?
D’un tueur à gages impitoyable (Beat Takeshi) qui enchaîne les contrats, jusqu’à ce que sa routine attire l’attention d’un garçon de café et de la police.
Pourquoi on adore ?
Après quelques minutes de projection de Broken Rage, on se dit que l’intrigue va être encore l’un de ces films de yakuza dont le cinéaste s’est fait une spécialité, parfois pour le meilleur (Hana-bi, Sonatine,…), parfois pour le pire (la série des Outrage, exploitation assez paresseuse du genre).
Il n’y a pas vraiment de surprises au niveau du scénario ou des péripéties, mais Kitano maîtrise totalement son sujet, tant au niveau de la réalisation, précise et dépouillée, que de l’interprétation. Et si, de manière fugace, on se dit que l’acteur/cinéaste a pris un léger coup de vieux, la facilité avec laquelle le personnage principal, costard sombre, lunettes de soleil et visage impassible, dézingue de jeunes voyous ou de gros durs tatoués montre qu’il n’a au contraire, rien perdu de sa superbe.
L’avantage également, c’est d’être sur un terrain tellement connu qu’il peut se permettre de faire court (65 mn, l’un des longs-métrages les plus courts de la 81ème Mostra) sans que cela n’altère la compréhension du récit ni sa rythmique.
Tout se déroule assez classiquement quand, après une demi-heure de film, tout bascule. Kitano réalise un « spin-off ». Le film revient à son point de départ et reprend la narration de la même histoire à zéro, mais sous un angle entièrement parodique et en assumant une approche totalement burlesque.
Le tueur devient une sorte de vieillard gaffeur, une sorte d’équivalent yakuza de l’inspecteur Clouseau ou de Hrundi V. Bakshi dans les films de Blake Edwards. L’homme passe son temps à se cogner contre les objets ou les gens, s’asseoir sur des chaises cassées, glisser dans les escaliers. Cela ne l’empêche pas de remplir ses contrats, même si cette fois-ci, pour cela, l’opposition au personnage a été revue à la baisse – les trognes des voyous sont hilarantes – et que ses missions ne se déroulent pas comme prévu.
Kitano s’amuse à déconstruire tous les clichés autour de son personnage monolithique. Il revisite totalement son récit en incorporant aux scènes des éléments de slapstick (les vieilles recettes du burlesque fonctionnent toujours aussi bien), des gags absurdes, parfois assez puérils, dans la veine de ses comédies Glory to the filmmaker! et Takeshi’s.
Le résultat s’avère assez irrésistible, constamment surprenant et audacieux.
Par moments, le cinéaste s’autorise même à interrompre la narration pour inclure des pauses, des interludes où il peut directement commenter son oeuvre et donner ses vues sur le cinéma en général, avec humour et malice. Par exemple, il se moque ouvertement de cette mode des films de festival, beaucoup trop longs (on l’a vérifié cette année en compétition officielle…) et, de son côté, joue la montre pour arriver juste à une durée de plus d’une heure, soit celle minimale pour un long-métrage.
Il parle aussi de la difficulté à trouver du budget pour des scènes spectaculaires. En alternative à une scène de fusillade, il filme un jeu de chaises musicales. Et pour rester dans le budget imparti, il signe ce qui est sans doute la scène de cascade en voiture la plus anti-spectaculaire de l’histoire du septième art.
On n’attendait pas une oeuvre aussi réjouissante de la part de Takeshi Kitano, dont la filmographie tournait un peu en rond depuis une douzaine d’années, et dont le dernier long-métrage, Kubi avait été très tièdement accueilli à Cannes l’an passé. Certains confrères avaient même émis l’hypothèse du déclin du cinéaste japonais, incapable de se renouveler et de retrouver l’inspiration.
Broken rage constitue la meilleure réponse à ses détracteurs. C’est un film brillamment construit et réalisé, plein d’audace et de jeunesse, et communiquant une énergie folle. Et honnêtement, il y a bien longtemps que l’on n’avait autant ri durant une séance de la Mostra de Venise. Voilà qui change des drames, des films sociaux, des fresques historiques déprimantes, des histoires de mafieux revanchards et autres documentaires alarmistes…
On ne peut que s’incliner devant tant de malice et de maîtrise. Le seul bémol, c’est que c’est tellement irrésistible qu’on en aimerait encore plus. Et le film paraît presque… trop court !
Cela ne l’empêchera pas de figurer parmi nos plus beaux coups de coeur de cette édition 2024 de La Biennale Cinema.
Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema