Ecrire l’horreur – 3

Maîtrise de la suggestion et du suspense

Nous le rabâchons nous-mêmes : le show don't tell est un dogme dans l'écriture de scénarios. Dans l'horreur, il y a une menace. Mais il faut laisser le doute quant à sa nature exacte, d'où elle provient et finalement, on se demande quelles sont ses intentions. Il ne faut que le lecteur/spectateur comprenne ce à quoi l'héroïne et le héros seront confrontés car eux-mêmes l'ignorent. Cette ignorance est bénéfique car l'esprit humain imagine toujours plus que ce qu'on lui montre, tant en bien qu'en mal.

(1999) de Daniel Myrick & Eduardo Sanchezest une étude scientifique de la peur. Les personnages (c'est-à-dire nous en somme) apprennent, croient savoir et ne savent plus. C'est le fonctionnement de la peur face à l'inconnu. Si vous nous expliquez la menace dès le premier acte, il n'y a plus d'inconnu et le mécanisme de la peur ne s'enclenche pas.

Savoir ou ignorance ? Ce que nous ne voyons point, nous le devinons absent. Notre imagination, si rebelle, si libre, nous fait voir des monstres là où il n'y a que d'innocents insectes. Pour un peu, on s'effraierait de nos propres reflets aperçus au détour d'un miroir. Est-ce que la menace est réelle ? Sommes-nous vraiment menacé par ce qu'on ne peut voir ? Entre illusion et réalité, notre regard oscille, entre farce et tragédie si l'on veut.

Lorsque Heather, caméra à l'épaule, entre dans la maison abandonnée, ce qu'on nous donne à voir est granuleux, nocturne. Les auteurs insistent sur l'irréalité du lieu et c'est une condition nécessaire pour ce qu'il s'ensuit : les mouvements sont saccadés, l'œil ne s'attarde pas sur les détails et nous n'avons qu'une vue partielle des lieux, c'est-à-dire que nous ne pouvons à aucun moment y établir un ancrage quelconque qui nous rassurerait. Ècrire un scénario, ce n'est pas seulement poser des mots. Il y a une intention de mise en scène, même lorsque vous exposez vos personnages. Ici, dans cette scène, ce qui est mis en avant, c'est l'environnement qui devient alors un personnage à part entière et qui participe de l'intrigue (si un personnage n'est pas légitime dans une scène, éliminez-le).

Soudain un hurlement mais hors champ. Pourquoi ? Vous entendez soudain un cri qui déchire l'air. C'est celui d'un proche que vous n'avez pas sous les yeux. Aussitôt, vous vous précipitez vers la source de ce cri et tout ce qui est autour de vous s'estompe. C'est l'exemple de Sartre : vous entrez dans un café bondé à la recherche d'une connaissance et seul cet individu existe en quelque sorte dans cet environnement.
C'est pourquoi, pendant le moment de panique de Heather qui se précipite vers le cri, tout se brouille. Et lorsqu'elle parvient dans la cave, nous sommes toujours plongés dans la presque totale obscurité. Cette ambiance renforce l'impression d'absence qui est pourtant si fortement présente. Et qu'est-ce qui autorise ce phénomène ? Notre imagination.

La désorientation des personnages est importante. Ils sont perdus dans les bois. Pourquoi est-ce nécessaire à l'intrigue ? Pour l'isolement. En effet, ils sont coupés du monde extérieur ; ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes ce qui insiste sur leur vulnérabilité. Et partant sur le fait que, rapidement, ils perdent le contrôle sur leur situation.

Le jeu sur la tension

The Jane Doe Identity (2016) de André Øvredal excelle dans sa gestion de la tension en la rendant parallèle au déroulement de l'autopsie. Souvent, le lieu, quel qu'il soit, débute sur un environnement familier et routinier, même comme ici lorsque l'action prend place dans une morgue.
C'est la normalité d'une activité professionnelle. S'agissant d'une autopsie, les deux médecins-légistes (père et fils) découvrent rapidement des stigmates étranges sur le corps de la victime mais rien d'apparemment surnaturel, extraordinaire sûrement mais nullement alarmant d'un monde d'en-dessous.

Mais les découvertes se multiplient et la tension croît dans le même coup car le mystère de ces révélations s'embue d'inquiétudes. Même principe mis en œuvre que dans Le Projet Blair Witch : l'isolement. Ici, il est figuré par une panne d'électricité. La morgue et ses personnages sont isolés du monde extérieur.
Dans l'horreur, vous vous passerez difficilement de cette technique narrative car elle se projette sur nous. L'extérieur est soit rassurant puisque si secours il y a, ils proviennent de là ou il est la menace même qui devient omniprésente lorsque cet accès est ouvert.

Puis l'inexplicable se manifeste. D'abord, il surprend. Quelques bruits étranges inquiètent un peu, des objets qui s'animent sans intervention d'aucune sorte... nous y sommes habitués. Mais les ombres sans corps, les portes qui se ferment brusquement, des chuchotements qui viennent de nulle part et ces bruits de pas finissent par provoquer en nous la montée en puissance de la peur.

Doute et certitude

L'horreur, c'est un trompe-l'œil, une illusion entre notre sensation du réel et la réalité. La forme est simple : un monde familier en surface (source de l'illusion) mais sous le voile existe une horrible vérité. Alors ce sont nos certitudes qui se bouleversent. On ne fait plus la différence entre le réel et l'imaginaire, entre le rationnel et l'irrationnel. Pourtant c'est le génie de l'horreur car en manifestant ainsi nos secrets, elle nous en libère. L'Orphelinat (2007) de J.A. Bayona suit précisément cette structure. Laura revient dans l'orphelinat de son enfance pour y créer un foyer pour enfants handicapés. C'est une intention très morale. Mais sous cette intention, le récit a placé un passé tragique du lieu et une présence surnaturelle.