[Compétition]
De quoi ça parle ?
De jeunes chinois qui travaillent dans les ateliers de confection textile de la province du Zhili, à 150 km de Shangaï. La région héberge des milliers de ces petits ateliers qui produisent des vêtements bas de gamme destinés au marché intérieur ou à l’export. Ils attirent chaque année 300 000 jeunes viennent y travailler de façon saisonnière, quittant leurs village, pour la plupart dans les zones rurales avoisinantes, parcourues par le fleuve Yangtsé. Ces jeunes espéraient faire fortune, profitant de la bonne santé de l’économie chinoise. Après quelques saisons à trimer dans des conditions parfois difficiles, le constat est assez terrible. Ils réalisent qu’ils gagnent chaque année à peine de quoi se payer le billet de train pour rendre visite à leurs proches restés au village.
Leur quotidien est rythmé par le travail à l’atelier. Le reste du temps, ils papotent, surfent leurs téléphone, jouent aux cartes, draguent, comme des jeunes normaux, quoi…
Pourquoi on est en pétard ?
Attendez… Le synopsis nous dit quelque chose… Il nous semble avoir écrit un texte à peu près similaire il y a trois mois… Ah oui, tiens, le film s’appelait Jeunesse (Le printemps) et était en compétition au Festival de Cannes. Jeunesse (Le Retour) en constitue la suite, et même le troisième épisode, puisque le second, Jeunesse (Les tourments) a été présenté au Festival de Locarno le mois dernier.
Que le synopsis global soit assez similaire pour les trois films n’est pas choquant, puisque ce projet a bien été pensé comme une trilogie. Mais ce qui nous pose davantage problème, c’est que le déroulé soit quasi-exactement le même que celui du premier épisode. Le même genre de situations, le même genre de discussions, en boucle.
Le retour démarre encore et toujours dans les ateliers. Il y a un peu moins d’activité à l’approche des fêtes du nouvel an, mais il y a toujours des négociations autour du nombre de pièces à fournir, des achats de tissus, des discussions autour de techniques qui permettent de gagner du temps ou d’assurer une meilleure qualité des produits, et parfois des engueulades quant à la façon de gérer la production. Rien de vraiment nouveau. Ah si, pardon, il y a une variante. Dans le premier film, des protagonistes envisageaient de mettre de l’argent de côté et se marier. Dans ce troisième épisode, le mariage va enfin avoir lieu. Au bout d’une demie-heure, on quitte donc le Zhili pour aller dans les montagnes du Yunnan, assister au mariage de Shiwei. Ca change un peu. Pour autant, ce n’est guère passionnant. C’est comme assister au visionnage du film de mariage de parfaits inconnus. Wang Bing en profite aussi pour filmer les fêtes du nouvel an, célébrées à coups de pétards. Pan! Pan! Pan! Pan! C’est parti pour de longues séquences pénibles à souhait pour les oreilles. Il fallait bien cela pour remplacer le bruit assourdissant des machines à coudre du premier opus…
Ce n’est donc pas très agréable pour les oreilles, mais ça l’est plus pour les yeux, puisque le cinéaste peut filmer de superbes paysages de montagne. Par ailleurs, le dispositif lui permet de mieux exposer la condition des habitants de la Chine rurale, défavorisés par rapport aux habitants des métropoles.
Mais au bout d’un moment, on quitte de nouveau la campagne pour repartir dans le Zhili, où tout reprend comme avant : l’agitation, les discussions en boucle et le bruit des machines, jusqu’au bout de l’ennui. Ou du moins, pour encore près d’une heure de film.
Et là, désolé, mais c’est nous qui sommes en pétard. Pourquoi? Pourquoi resservir les mêmes scènes qu’auparavant? Pourquoi relancer un cycle de banalités? Pourquoi nous infliger ce bruit de machines à coudres insupportable?
Le premier opus durait déjà 3h35 et s’avérait inutilement long et redondant. Le second que nous n’avons pas vu – et ne verrons pas de notre plein gré – dure 3h47. Le retour affiche une durée de “seulement” 2h40 (mais durée ressentie : 5h…). C’est peut-être pour rééquilibrer les durées des trois volets qu’il vient relancer un cycle de séquences répétitives.
La logique de l’exercice aurait plutôt été de faire un film unique de trois ou quatre heures, condensant les éléments-clés des trois parties. Dans ce cas-là, Jeunesse aurait constitué une oeuvre tout à fait valable, riche et intéressante. Mais dans ce format, avec ces redites, ces scènes inutilement étirées, ce brouhaha permanent, le résultat est tout bonnement insupportable.
Ou alors, le cinéaste nous prend pour des imbéciles. Il se dit peut-être que les spectateurs comprennent vite, mais qu’il faut leur expliquer longtemps. Cela expliquerait pourquoi un protagoniste porte, dans une scène, un sweat-shirt siglé “Hard”. Le cinéaste doit penser que nous n’avons pas compris à quel point la vie des jeunes chinois exploités dans ces ateliers est “difficile”.
Le pire, c’est que nous nous étions jurés de ne pas nous faire prendre au piège. Mais nous avons eu des scrupules à rater l’un des films de la compétition officielle. Et si nous étions passé à côté du Lion d’Or? Et si, finalement, cette trilogie documentaire avait trouvé tout son sens avec ce dernier épisode? Tu parles! Aucun intérêt. Une perte de temps absolue!
Il faudrait peut-être faire comprendre au cinéaste l’intérêt du montage. Ou lui expliquer, par un jeu de comparaison subtil, que son travail, avec ces trois pièces plus ou moins mal taillées, cousues de fil blanc et leur aspect vintage “cinéma du monde”, s’apparente plus à de la confection bas de gamme qu’à de la Haute-Couture.
Contrepoints critiques :
”Closing out a triptych that previously ran through “Youth (Spring)” and “Youth (Hard Times),” Wang Bing’s final panel in his granular account of Middle Kingdom sweatshops wraps the trilogy in paradox. Running a scant 2.5 hours, “Youth (Homecoming)” is not only the shortest entry of his 10 hour saga; it’s also the most abundant, ending the series on a high note while calling into question the degree of emphasis of the earlier two iterations.”
(Ben Croll – Indiewire)
”L’unico motivo immaginabile per una scelta così purista è quello di voler essere assolutamente informativi, raggiungendo un “grado zero” della forma che non solo non manipola la realtà, ma costringe lo (sventurato) spettatore a un’immersione totale in immagini grezze e autentiche. Ma se lo scopo è davvero informare, perché seppellire la realtà così faticosamente catturata in un non-racconto inaccessibile se non dai pochissimi estimatori di questo tipo di cinema estremo?”
(“La seule raison imaginable d’un tel choix puriste est de vouloir être absolument informatif, d’atteindre un « degré zéro » de forme qui non seulement ne manipule pas la réalité, mais oblige le spectateur (malheureux) à une immersion totale dans des images brutes et authentiques. Mais s’il s’agit vraiment d’informer, pourquoi enterrer la réalité si laborieusement capturée dans un non-récit inaccessible si ce n’est par les très rares admirateurs de ce type de cinéma extrême ?”)
(Lorenzo Meloni – Badtaste)
Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema