Écrire le mystère – 32

Par William Potillion @scenarmag

L'enquête dans un mystère, c'est un contexte. Elle occupe essentiellement le temps du récit mais elle n'oblitère pas les analepses qui expliqueront les motifs du crime. Quelle structure pour une enquête ? Gardez les choses simples : un crime (ou le mystère) avec une mise en scène relativement spectaculaire ; un personnage qui mène cette enquête (on expose ses méthodes et sa personnalité) ; une chronologie des faits assez bien pensée pour expliquer avec cohérence le motif ( comment ?, c'est-à-dire les conditions qui ont fait que cela a été seulement possible), le mobile ( pourquoi ?) et les conséquences.

En fait, les mêmes questions que nous devrions nous poser pour comprendre nos actions et celles des autres.

Flux et reflux

Dans un mystère, on trouve de l'action assez intense comme une course-poursuite par exemple. Néanmoins, l'autrice et l'auteur réservent des moments de réflexion qui servent à nous rappeler les détails qui ont permis de donner corps à l'investigation. Bien-sûr qu'il y aura des obstacles et des rebondissements afin que nous gardions notre attention sur ce qu'il se passe. Identity (2003) de James Mangold est un modèle qu'on peut suivre avec profit. Toute l'action s'organise autour de la situation des personnages piégés dans un lieu isolé. On trouve ce concept d'isolement dans l'horreur aussi car il provoque chez le lecteur/spectateur un malaise lié au confinement de la situation qui le prive, tout comme les personnages, d'une échappatoire : lui aussi, il est piégé dans une situation. Qu'il soit un lieu isolé ou une communauté refermée sur elle-même, l'isolement produit un microcosme dans lequel chaque personnage est susceptible de la transgression et même, parfois, y compris l'enquêteur lui-même.

Ce qui importe dans une fiction, ce sont les interactions entre les personnages. Lorsque l'intrigue se resserre entre des limites qu'elle ne peut franchir, cela permet d'étudier les relations et c'est ce qui nous passionne, nous, les lecteurs/spectateurs, qui sommes rivés davantage sur l'humain que sur une action déshumanisée.

L'urgence vient aussi de cette situation comme aucun secours ne peut venir de l'extérieur, les personnages sont livrés à eux-mêmes. Tout comme nous, ils ne peuvent évacuer leur angoisse.

Dans Identity, les moments de réflexion nous sont soumis par Ed, l'ex-policier. Il nous sert de substitut car en tentant de comprendre ce qu'il se passe, il nous permet de réfléchir sur les indices que nous aurions repérés et d'imaginer nos propres théories. Identity est un Whodunit, c'est-à-dire que la visée est de savoir qui est le criminel parmi tous ces personnages. Et tout se mêle dans notre esprit : les numéros des chambres, les objets personnels et même les coïncidences. Chaque nouvelle mort relance l'énigme, le passé des personnages et leurs étranges relations nous surprennent tout autant. C'est du grand art digne de Agatha Christie !

Des motifs crédibles

Dans ses yeux (2009) de Juan José Campanella explicite bien cette définition. Benjamin Espósito écrit sur une affaire qu'il n'a su résoudre il y a 25 ans. Aussitôt, nous nous plaçons dans une perspective subjective. Il raconte les premiers interrogatoires qui seront autant de pistes à suivre. Parmi ces interrogatoires, ceux de la famille et des amis nous renseignent sur qui était la victime et sur ses relations. Quant au crime, c'est l'interrogatoire de Isidoro Gómez qui nous donne non seulement les informations sur ce crime mais aussi sur le système judiciaire de l'époque qui joua un rôle essentiel dans l'impasse de l'enquête.

Et le personnage principal dans tout cela ? Son arc dramatique se développe parallèlement à l'intrigue. Effectivement, il y a une symbiose entre le développement psychologique et émotionnel du héros ou de l'héroïne et les rebondissements de l'intrigue. Chaque nouvelle découverte, chaque nouveau obstacle, qu'il soit franchi ou non, offre une opportunité de changement.
Qu'il ou elle réagit, prend une décision ou mesure les conséquences de son action, cela influe non seulement le déroulement de l'intrigue mais aussi sa propre transformation en un être autre, très souvent meilleur mais il pourrait être pire selon l'intention de l'auteur ou de l'autrice.

Ce n'est pas seulement une fioriture narrative mais bel et bien une nécessité pour maintenir rivée l'attention du lecteur/spectateur. C'est pour cette raison que le protagoniste est par nature proactif. Il sera ainsi affecté par son enquête car il se trouvera confronté à ses préjugés et à ses propres limitations qu'il devra dépasser pour sortir grandi de son épreuve. La solution de l'intrigue n'est donc pas une satisfaction mais un remède pour le personnage lui-même.

Searching : Portée disparue (2018) de Aneesh Chaganty pour montrer comme il est efficace de lier un arc dramatique à une intrigue. On débute par une situation familière, routinière : David est veuf et semble non pas distant mais incapable d'une vraie proximité avec sa fille. C'est une situation que nous comprenons.
Mais lorsqu'il commence son investigation sur la disparition de celle-ci, il s'aperçoit à quel point il ne la comprenait pas. C'est l'incident déclencheur qui amorce son arc vers un homme qui assume son rôle de père. Les obstacles qu'il rencontre l'incite à devenir davantage proactif. Il sort de sa zone de confort. Plus son enquête avance, plus il comprend sa fille et sa faillite personnelle en tant que père. En prenant conscience de ses préjugés, il les dépasse et pour mener à bien son enquête, il acquiert de nouvelles compétences.

Vers la solution

Agrémenter le récit par des indices est comme un jeu pour l'autrice et l'auteur. En fait, les indices sont davantage un jeu du chat et de la souris avec le lecteur/spectateur. Fera t-il attention à ce détail que vous avez savamment élaboré ? Chaque indice, c'est-à-dire ce qui n'est pas une fausse piste, est un morceau de la solution. Mais bien-sûr que cet indice il l'apercevra plus ou moins confusément et malgré lui, il cherche à en décoder la signification. Mais pour cela, il faut que l'indice ne soit ni trop obscur, ni trop évident, sinon il n'a plus d'intérêt ni pour vous, ni pour votre lectrice et votre lecteur. Peut-être même pire : ils se sentent trahis. Dans Le Grand Sommeil (1946) de Howard Hawks, la disparition du chauffeur par exemple est un indice posé comme une sorte de fil d'Ariane entre plusieurs aspects de l'intrigue. On considère d'abord secondaire cette disparition mais très vite, on s'aperçoit que Owen, le chauffeur, est lié à Carmen et au chantage. Très vite donc, sa disparition devient l'un des éléments de l'énigme.
Par ailleurs, les photos compromettantes de Carmen, le livre rare sont des éléments de la solution. A tout cela nous assistons et nous cherchons à en décoder la signification.