De quoi ça parle ?
D’un jeu vidéo qui permet aux joueurs d’incarner des voyous commettant un cambriolage dans une villa de luxe, pillant les lieux et brutalisant ses occupants.
Et plus largement, de l’univers mental perturbé de Harmony Korine.
Pourquoi pour nous, c’est définitivement “Game Over”?
Extrait d’une discussion entre Harmony Korine et un ami, à Miami, quelques mois avant la 81ème Mostra :
– Hé, Harmony, c’était trop cool, la Mostra de Venise, l’année dernière, avec Aggro Dr1ft! Trop planant !
– Ouais, mec… C’était cool. J’ai grave kiffé. A part la critique de l’autre bâtard d’Angles de vue, qui nous a plus défoncés qu’un kilo de beuh afghane… Mais sinon, c’était coooool.
– Trop! Hey, on ne se referait pas un petit film entre potes, histoire d’être encore sélectionnés en séance de minuit et de retourner kiffer sur le Lido ?
– Non mais attends, man. Là, je suis en train de jouer à un jeu vidéo !
– Ah ! Trop nul, ça ! Ca ne va pas le faire. Le temps que tu finisses ta partie, puis de trouver une idée, d’écrire un scénario, de filmer, tout ça tout ça, on ne pourra jamais être prêts à temps ! Duuuur…
– T’inquiète, mec ! J’ai une idée. On n’a qu’à se filmer en train de jouer. Mieux, on filme la capture vidéo du jeu auquel on joue. Comme ça, on fait un film en FPS (First Person Shooter).
– Ah ouais, brillant ! C’est quoi, ton jeu ?
– Un jeu PEGI 18 où on incarne les membres d’un groupe de voyous qui commettent des « home invasions », des cambriolages alors que les occupants des lieux sont toujours présents. On pénètre dans une villa et on pille chaque pièce. S’il y a des gens, on les bute ou on les séquestre.
– Ah ouais, chaud ! Mais si ma mère regarde le film et me voit commettre des actes comme ça, elle va être trop choquée !
– T’inquiète, mec. Elle ne va pas te reconnaître… Il nous reste les masques bizarres de l’année dernière. Tu sais, les masques avec des cornes type Goldorak… On va recycler. Et puis, j’ai une autre idée, on va faire des deepfakes où à la place de nos teutés de teubés, il y aura des teutés de bébés.
– Ah ouais ! Déliiiiire ! Des bébés cornus équipés de M16 !!! J’ai le titre : Baby invasion ! Mais tu ne crois pas que si on fait une heure et demie avec ce concept, les gens vont vite se lasser…
Parce que regarder des potes jouer à un jeu vidéo sans jamais toucher au joypad, c’est boooring, man !
– Nan, mais attends, c’est là le concept. C’est de l’art moderne. Dans le jeu, on kidnappe des gens et on les torture (mais rien de méchant à l’écran, hein, promis, pour ne pas choquer ta daronne). Et en plaçant des cinéphiles face à notre film, on les torture aussi, en quelque sorte…
– Ouais, mais les portes des cinémas du Lido sont ouvertes. Les gens sont libres de se sauver.
– Pas sûr. Il suffit que ceux au bord de rang s’endorment vite et les autres ne pourront plus bouger.
Sinon, on n’a qu’à les hypnotiser ! Hop ! Une bonne couche de techno pour le battement bineural.
– Ca suffira, tu crois ?
– Non, on va aussi leur balancer une voix off monocorde pour les plomber.
– Mais qui dira quoi, comme texte ?
– Ah ouais, faut trouver quelque chose… Attends deux secondes, il faut que je nourrisse le lapin nain de ma frangine. Elle me l’a laissé en pension et si j’oublie de lui filer des graines, elle va me tuer jusqu’à ce que je sois mort…
…
…
…
Oh, Wait ! Idée de génie! Le monologue, il sera autour du lapin, qu’on va filmer sur fond vert et incruster sur les images du film. Il me vient des phrases profondes comme “The rabbit knew he had been blessed”…
– Trop foncedé, mec ! En plus, le lapin, ça fera un clin d’oeil à tes fans, en évoquant le Bunny Boy de Gummo.
– Ouais, t’as vu… Et s’il y en a qui résistent encore, on va les assommer avec plein de trucs parasites sur l’écran : des dialogues de Chat (la messagerie, hein, pas l’animal. on a déjà le lapin…), des fenêtres pop-ups, des créatures de pixels qui courent partout sur l’écran. Ils n’auront jamais vu ça de leur life! Ils vont me manger dans la main, ces intellos amateurs de cet art mort qu’est le ciné !
– Et pour les images, on ressort la caméra thermique?
– Nan, man. Faut pas abuser.
– Un peu quand même?
– OK, vers la fin, alors… Et surtout, on fera apparaître un boss de fin tout en pixels. Ca va déchirer !
– T’es un génie, mec !
Votre serviteur doit être un peu masochiste de s’infliger un truc aussi insupportable. A plus forte raison après avoir détesté Aggro Dr1ft l’an dernier et juré qu’on ne m’y reprendrait plus…
Pourtant, j’ai décidé de donner une dernière chance à Harmony Korine, auteur surcôté mais atypique dont les premiers films étaient intéressants, à défaut d’être vraiment convaincants. Il y racontait des histoires originales, centrées sur les laissés pour compte, les marginaux ou les malades mentaux. Mais désormais, c’est lui qui semble totalement marginal.
Ses films ne sont plus que délires personnels, bad trips et expériences puériles, insupportables à regarder.
Baby Invasion est immédiatement détestable, que ce soit au niveau du concept du film, du concept du jeu, de la mise en scène ou de la musique. C’est bruyant et criard. C’est fumeux et prétentieux. C’est ennuyeux à mourir, totalement abscons.
On ne comprend pas ce que le cinéaste a cherché à faire et, en vérité, on ne tient pas à le savoir.
Il va falloir penser à changer la couche de son bébé et à aérer. Ca pue la merde.
Vous l’aurez compris, pour nous, Korine est définitivement « Game Over ».
Contrepoints critiques :
”With the implementation of generative artificially intelligent technology as the primary ethical elephant in the room regarding the film’s production, “Baby Invasion” senselessly tumbles down the rabbit hole with a derivative vanguard pastiche.”
(David Cuevas – Next best picture)
”The trouble with Korine’s ambiguous approach — which makes it impossible to distinguish between scripted mayhem and computer-generated add-ons — comes in deciding what and how to spend our energy attempting to interpret. Meaning may be elusive, if not altogether nonexistent, but there’s plenty to trigger us along the way.”
(Peter Debruge – Variety)
Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema