[Giornate degli Autori]
De quoi ça parle ?
De la brève rencontre d’Anna (Rosa Palasciano) et de Nadia (Yeva Sai), une fin d’été à Rome.
Anna est une trentenaire italienne qui traverse une mauvaise passe. Elle est depuis quelques temps en proie à de violents malaises qui l’handicapent sérieusement et indiquent que son état général se dégrade. A tel point que le médecin s’oppose au renouvellement de son permis de conduire. Un malheur n’arrivant jamais seul, elle finit par perdre son job de serveuse, après plusieurs bourdes. Elle aimerait trouver un peu de réconfort auprès de son compagnon, Leo, mais celui-ci est parti à l’étranger pour une mission professionnelle et de toute façon, même quand il est présent à la maison, leurs relations semblent curieusement distantes. Ils ont l’air de rester ensemble plus par habitude que par amour véritable. Anna n’a guère plus de chance auprès de sa famille, composée de ses deux frères aînés, Antonio (Matteo Quinzi) et Angelo (Valerio di Benedetto), et de leur mamma, dont la santé est elle aussi déclinante. Chaque réunion de famille s’avère tumultueuse, les discussions dégénérant toujours pour des broutilles entre frangins et la jeune femme a du mal à trouver sa place dans cette configuration.
Nadia, elle, est une réfugiée ukrainienne d’une vingtaine d’années. Au début de l’invasion russe, elle s’est résignée à fuir sa patrie pour s’installer à Rome chez son oncle et sa tante. Elle travaille sans enthousiasme comme aide-soignante à domicile, auprès de personnes âgées et n’aspire qu’à retourner rapidement au pays. La vie romaine ne lui plait pas. Un peu isolée, sans amis ni collègues avec qui sympathiser, elle s’ennuie un peu et tourne en rond à la maison, dans un climat assez tendu.
Les deux jeunes femmes semblent constamment tristes et en colère. Elles traînent leur mal-être partout où elles vont et ne semblent absolument pas faire d’efforts pour s’en défaire.
Dans ces conditions, malgré le dicton “Qui se ressemble s’assemble”, leur rencontre était improbable. Mais un bus en grève, ou mystérieusement disparu dans les méandres de la “Ville éternelle”, va leur donner un coup de pouce. Alors qu’elles attendent en vain le passage du véhicule, deux inconnus leur proposent de les raccompagner en voiture. Faute de mieux, elles acceptent de faire un bout de chemin avec eux. Et face aux deux types, rapidement dragueurs et bien lourdauds, elles sont obligées d’afficher une certaine solidarité pour couper court à toute proposition indécente. Un début d’amitié s’amorce entre les deux femmes, qui vont peu à peu apprendre à se connaître, s’apprécier et trouver en l’autre le réconfort dont elles ont tant besoin.
Pourquoi on laisse tourner le compteur?
Le nouveau film de Ciro De Caro est une comédie dramatique au tempo singulier, qui prend le temps de nous présenter ses personnages et leurs problèmes, avant de nouer leurs liens patiemment, lentement, pas à pas. Pendant près des deux tiers du film, il faut s’accrocher un peu pour s’attacher aux personnages. Nadia ne fait aucun effort pour être agréable. Elle ne sourit jamais, est en retrait, méfiante, et peut se montrer boudeuse et un brin agressive. Il faut voir la tête qu’elle affiche lors de sa fête d’anniversaire, la joie de vivre incarnée… Anna a au moins le mérite d’essayer de provoquer la connexion entre elles, mais curieusement, dès que Nadia s’ouvre un peu, c’est elle qui se referme. Peut-être parce qu’Anna ne veut pas lui imposer sa souffrance. Ou parce qu’elle pressent que cette amitié n’est qu’éphémère et que Nadia va bientôt repartir en Ukraine, l’abandonnant à son triste sort.
Pourtant, peu à peu, à force d’insistance, une vraie relation de confiance s’installe. Les deux jeunes femmes s’abandonnent à l’instant présent et décident de profiter des moments passés ensemble. Une belle virée en bord de mer, puis une tendre “javanaise” sur les notes de Gainsbourg, réussiront – enfin ! – à éclairer les visages des deux personnages de sourires radieux, et nous submerger d’émotion, le temps d’une chanson.
Cette jolie histoire d’amitié, voire d’amour, d’une certaine façon, nous touche par sa simplicité et sa sensibilité. Et aussi par son refus de la facilité. Ciro De Caro développe une structure narrative atypique, qui ne respecte pas les canons de la comédie classique ou du mélodrame et aborde en un même mouvement plusieurs sujets difficiles sans recourir à des effets tire-larmes. Empathique, oui. Pas emphatique.
La réussite du film repose aussi, évidemment, sur les deux actrices, qui arrivent à canaliser leur jeu pour arriver à n’atteindre l’harmonie, le parfait accord, qu’en toute fin de récit. Rosa Palasciano, actrice-fétiche du cinéaste, signe encore, après Giulia, une performance toute en nuances. Yeva Sai, de son côté, est une jolie révélation. Après avoir eu du mal à aimer ces deux jeunes femmes fermées et tristes, on les quitte à regret. On aurait aimé que Taxi monamour laisse encore tourner un peu le compteur.
Contrepoints critiques :
”In un’epoca di cinema artificioso, pur nelle sue mancanze narrative e nel suo tratteggio a volte bloccato (quasi due ore, la durata è eccessiva), Taxi Monamour si fa carico di una vitalità identificabile, tanto nell’umore quanto nell’emotività, elevandosi fino ad un abbraccio libero dalle parole ma carico di significato.”
(“À l’ère du cinéma artificiel, malgré ses lacunes narratives et son traitement parfois figé (près de deux heures, la durée est excessive), Taxi Monamour possède une vraie vitalité, qui se manifeste autant dans l’atmosphère du film que dans l’émotion qu’il dégage, jusqu’à une étreinte libre de mots mais pleine de sens.”)
(Damiano Panattoni – Movie Player)
”Cet amour ‘le temps d’une chanson’ dispose d’une jolie conclusion faisant des adieux un moment de joie et de reconnaissance. On en ressort ému, avec l’envie de savoir réconforter l’autre.”
( Olivier Bachelard – Abus de ciné)
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