Lacombe Lucien (1974) de Louis Malle

D'ores et déjà un des grands réalisateurs français avec des films comme "Ascenseur pour l'Echafaud" (1958), "Zazie dans le Métro" (1960) ou "Le Feu Follet" (1963), Louis Malle se rappelle quelques souvenirs d'adolescence et surtout s'inspire des deux premiers romans de Patrick Modiano qui l'ont marqué sur la Collaboration des années 40, "La Place de l'Etoile" (1968) et "La Ronde de Nuit" (1969). Ainsi le réalisateur-scénariste propose-t-il à l'auteur de collaborer pour écrire un scénario original. Outre ses romans, Modiano reviendra plus tard avec un nouveau scénario original sur 39-45 avec "Bon Voyage" (2003) de Jean-Paul Rappeneau. Vu le sujet encore très brûlant à sa sortie le film fera polémique et sera un relatif échec au box-office français et, paradoxalement, sera bien reçu à l'étranger avec en prime le BAFTA 1974 du meilleur film étranger et une nomination à l'Oscar... Début de l'été 1944, fils de paysan, Lucien Lacombe 17 ans fait des ménages dans un hospice. Son père est prisonnier en Allemagne, sa mère vit avec un autre homme. Le jeune homme tente d'entrer dans le maquis et veut devenir résistant mais sa requête est refusée. Par dépit ou par hasard, il se retrouve embrigadé dans la police allemande alors même qu'il tombe amoureux de France Horn, juive qui se cache avec son père et sa grand-mère... 

Le jeune ado est incarné par Pierre Blaise, jeune acteur qui accepte le rôle à contre coeur pour faire plaisir à ses parents. Il jouera malgré tout encore dans trois films, "Le Grand Délire" (1975) de Dennis Berry, Les Noces de Porcelaine" (1975) de Roger Coggio et "Vertiges" (1975) de Mauro Bolognini avant de mourir tragiquement dans un accident de voiture. La jeune femme juive est jouée par Aurore Clément, alors débutante qui confirmera avec entre autre "Le Juge Fayard dit "Le Shérif" (1977) de Yves Boisset, "Le Crabe-Tambour" (1978) de Pierre Schoendoerffer et "Apocalypse Now" (1979) de Francis Ford Coppola et qui retrouvera l'auteur pour "Bon Voyage" (2002). Le père juif est interprété par l'acteur suédois Holger Löwenadler vu auparavant dans "L'Epreuve" (1946) de Alf Sjöberg ou "L'Eternel Mirage" (1947) de Ingmar Bergman, tandis que la grand-mère est jouée par Therese Giehse actrice allemande vue dans "La Fiancée Vendue" (1932) de Max Ophüls, "Anna Karénine" (1948) de Julien Duvivier ou "Jeunes Filles en Uniforme" (1958) de Géza Von Radvanyi et retrouvera Louis Malle pour son dernier film avec "Black Moon" (1975). Citons ensuite Pierre Decazes apparu dans  "Le Mur de l'Atlantique" (1970) de Marcel Camus et retrouve entre  "L'Aveu" (1970) de Costa-Gravas et "Calmos" (1976) de Bertrand Blier son partenaire Jacques Rispal qui retrouve aussi après "La Voie Lactée" (1969) de Luis Bunuel l'acteur Stéphane Bouy vu la même année dans "Que la Fête commence" (1974) de Bertrand Blier, Ave Ninchi actrice italienne vue déjà en France dans "L'Air de Paris" (1954) de Marcel Carné, "Les Bonnes Femmes" (1960) de Claude Chabrol ou "Plein Soleil" (1960) de René Clément et retrouve son réalisateur Louis Malle après "Le Souffle au Coeur" (1971) à l'instar de René Bouloc qui reviendra encore sur la période sous la direction de son réalisateur dans un autre chef d'oeuvre, "Au Revoir les Enfants" (1987) avec également Jacqueline Staup qui était déjà dans "Ascenseur pour l'Echafaud" (1958) et "Le Voleur" (1967). Citons encore Jean Rougerie vu plus tard dans "Préparez vos Mouchoirs" (1978), "Buffet Froid" (1979) et "Merci la Vie" (1990) tous trois de Bertrand Blier, Cécile Ricard entre "Les Gants Blancs du Diable" (1973) et "Zig-Zig" (1975) tous deux de Laszlo Szabo, Pierre Saintons surtout aperçu ensuite dans "Le Professionnel" (1981) de Georges Lautner, Gilberte Rivet apparue auparavant dans "Heureux qui comme Ulysse" (1970) de Henri Colpi, Jean Bousquet vu plus tard dans "Le Lieu du Crime" (1986) et "Ma Saison Préférée" (1993) tous deux de André Téchiné, puis enfin Gaëtan Bloom remarqué essentiellement en étudiant cancre dans le dyptique "Les Sous-Doués" (1980-1982) de Claude Zidi... On remarque une chose rare en ce qui concerne le son, le film est totalement dénué de bruitage ou doublage quelconque, les sons sont "réels" et tournés en live ce qui accentue le réalisme et l'immersion mais permet aussi de remarquer plus subtilement la musique ambiante, c'est-à-dire le jazz de Django Reinhardt. L'artiste est alors particulièrement actif et populaire en France occupée ou pas (son nom "germanique" aurait aidé ?!), mais le cinéaste l'a choisi aussi et surtout pour sa musique mélancolique des années d'Occupation qui colle idéalement au quotidien austère et cafardeux de Lucien. La reconstitution est précise méticuleuse sans en faire trop et si à sa sortie en salles les critiques ne sont pas toujours tendres en parlant de "complaisance" vis à vis de la collaboration on constate aussi la mauvaise foi ou le manque d'infos historiques ; par exemple il y a un acteur noir (Pierre Saintons) qui joue un membre de la Gestapo ce qui n'a rien de surréaliste puisqu'il est avéré qu'à Bordeaux il y avait bien deux martiniquais tortionnaires. 

Le film est aussi et surtout passionnant dans les liens qui unissent Lucien à France et à sa famille. D'abord le choix du casting s'avère aussi judicieux que primordial. L'acteur Pierre Blaise joue à contre coeur dans le film, son côté grincheux et mutique est ainsi naturel et sert à merveille son personnage immature et paumé - précisons que Louis Malle a choisi l'acteur pour sa ressemblance avec Charles Le Clainche, ex-collabo qui partage sa cellule avec le héros du film "Un Condamné à Mort s'est échappé" (1956) de Robert Bresson -Tandis que Aurore Clément alors débutante également est à l'époque décrite par le réalisateur comme "paniquée devant la caméra" et "manquant de confiance en elle", ce qui serait tout aussi compréhensible pour une jeune femme juive en en couple avec un membre de la Gestapo ! Par contre, il est vrai que Lucien/Blaise est si immature, si en retrait des choses qu'il est impossible d'avoir un minimum d'empathie pour lui, il est trop alexithymique ce qui crée un décalage avec France/Clément qui est constamment entre l'effroi et l'amour éperdu. Mais le plus intéressant dans la vision de Louis Malle, est que pour une fois il n'est pas question d'idéologie nazie ou même fasciste de la part du personnage principal. Le réalisateur-scénariste avoue paradoxalement avoir écrit un personnage sur influence marxiste ! En effet, Lucien Lacombe n'est nullement nazi ou même intéressé par une idéologie ou une politique, il est juste un ado paumé sans culture suffisante pour s'y intéressé, il est surtout issu d'un milieu modeste voir pauvre qui le pousse à choisir la facilité pour une condition matérielle et sociale plus aisée. Après une tentative infructueuse il est donc opportuniste et choisi l'autre option qui l'accueille à bras ouvert sans qu'il voit ou qu'il pense à d'éventuelles conséquences. Louis Malle signe un drame sans doute un peu trop clinique mais le scénario reste d'une intelligence et d'un à-propos qui pousse à la réflexion tout en étant digne d'un authentique témoignage. A voir et à conseiller.

Note :  

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18/20