[Settimana della Critica]
De quoi ça parle ?
D’activistes écologistes kidnappés par un régime oppressant et emprisonnés dans une sorte de monde virtuel faussement paradisiaque où ils sont soumis à de la torture psychologique pour les contraindre à dénoncer les autres membres de l’organisation.
Dans un futur proche, en 2039, Julia (Adèle Exarchopoulos), participe à une action militante pour lutter contre le réchauffement climatique, mais les CRS interviennent et l’opération tourne mal.
Quand elle se réveille, elle est dans une hutte située sur une petite île tropicale paradisiaque, où une végétation luxuriante jouxte des plages immaculées et une eau turquoise. Elle retrouve une demi-douzaine de camarades, eux aussi arrêtés par les forces de l’ordre.
Ils réalisent qu’ils sont piégés dans un monde virtuel dont ils ne peuvent pas sortir et ils sont dans l’incapacité de communiquer avec le monde réel. La seule voix externe qu’ils entendent est celle du soldat chargé de leur faire avouer leurs crimes. Il leur propose de négocier leur libération en échange de noms d’autres militants de l’organisation. Evidemment, ils refusent s’abaisser à cela, surtout que leurs conditions de détention ne sont pas, de prime abord, si pénible que cela. Mais si le jour, leur lieu de captivité est plutôt idyllique, il n’en est pas de même la nuit, où ils sont assaillis de visions terrifiantes et d’éléments cauchemardesques destinés à les faire craquer psychologiquement.
Usés par ces nuits difficiles, les prisonniers commencent à se méfier les uns des autres. Des tensions apparaissent au sein du groupe, ce qui ne fait qu’accentuer la pression à laquelle ils sont soumis.
L’espoir vient de Nour (Souheila Yacoub), une jeune migrante. Dans son pays d’origine, l’Iraq, elle était journaliste et dénonçait les dérives autoritaires de ses dirigeants. En France, elle est contrainte à faire le ménage en attendant de pouvoir rejoindre le Canada, où l’attend un ami. Mais avant cela, il lui faut renouveler son visa numérique, un QR code imprimé sur une lentille oculaire, associé à l’identité factice qu’elle a empruntée. Malheureusement, le hacker responsable de l’opération fait partie du groupe de prisonniers, et son contact l’informe qu’elle ne pourra pas la rembourser.
Alors qu’elle fait le ménage dans une unité militaire high-tech, elle décide sur un coup de tête de dérober un casque de réalité virtuelle, dans l’espoir de pouvoir le revendre ou de l’échanger contre son précieux visa. En essayant le casque, elle parvient à entrer en contact avec Julia et comprend que ce qui est à l’œuvre n’est pas très « démocratique ». Ses réflexes de journaliste reprennent le dessus et elle décide d’essayer de localiser le lieu physique où sont retenus les prisonniers politiques.
Pourquoi on aime réellement (et pas virtuellement) ?
Déjà, on peut louer la tentative de réaliser un film d’anticipation made in France, au premier degré et avec des ambitions artistiques élevées. Même s’il y a eu plusieurs tentatives au cours de ces dernières années, avec plus ou moins de réussite, ce type de cinéma reste assez rare dans un paysage cinématographique français spécialisé dans les comédies formatées ou les drames psychologiques peu innovants.
Aude Léa Rapin signe un film d’anticipation en phase avec bon nombre de préoccupations très contemporaines, assez terrifiant car tout à fait crédible. Il dépeint une société aux mains d’un pouvoir autoritaire, sans doute associé à l’un de ces partis extrémistes nostalgique de l’idéologie fasciste, où chaque individu est placé sous étroite surveillance grâce aux évolutions technologiques (drones, caméras de surveillance, scanners biologiques…). De l’autre côté, plusieurs personnes tentent de se rebeller contre cet état totalitaire, notamment des militants écologistes. En réponse à l’inaction des dirigeants face aux changements climatiques et aux dérèglements de la nature, certains se radicalisent et mènent des actions de plus en plus violentes. L’armée et des forces de l’ordre tentent de neutralisent les opposants politiques et d’arrêter les militants les plus virulents, en attendant de pouvoir démanteler complètement leurs réseaux, cachés dans des zones souterraines. On se dit que ce cas de figure pourrait très bien arriver dans un avenir proche, et même avant 2039, si les citoyens n’y prennent pas garde.
L’idée d’utiliser la réalité virtuelle pour tenter de manipuler psychologiquement les prisonniers est par ailleurs loin d’être de la science fiction. On sait que ces dispositifs sont déjà utilisés par des psychothérapeutes pour guérir leurs patients de certaines phobies, alors on les imagine bien, à l’inverse, pouvoir créer des traumas, s’ils étaient utilisés par des personnes malveillantes. Par ailleurs, des méthodes de torture psychologique impliquant images, sons et privations de sommeil ont à de maintes reprises été utilisées dans un passé récent, par certains régimes dictatoriaux ou des agences gouvernementales sortant du cadre pour arriver à leurs fins.
Ici, le dispositif est sournois. Les tortionnaires sont déjà assez vicieux pour enfermer les militants écologistes dans une sorte de paradis vert, où les lieux ne sont pas souillés par la pollution humaine, ni en proie aux éléments déchaînés, conséquence du dérèglement climatique. Ils devraient trouver l’endroit idyllique. En tout cas, il est bien plus accueillant que le monde réel, sombre et froid, comme dans une nuit perpétuelle. Mais ils savent qu’ils ne sont pas en vacances sur cette île, et qu’ils auront du mal à supporter longtemps cette captivité, surtout ces nuits où leurs bourreaux les confrontent à leurs peurs profondes, leurs pires cauchemars, et les manipulent psychologiquement.
Le pire, c’est que leur principale force, la solidarité, l’unité, est mise à mal par ces épreuves. Certains ont plus de mal à supporter la situation et envisagent très vite de dénoncer quelques camarades pour sortir de là, d’autres sont infiltrés pour mieux diviser les membres du groupe, instiller de la paranoïa.
Ils ne peuvent absolument pas fuir de cet endroit, pas plus qu’ils ne peuvent se déplacer physiquement. Leurs corps sont immobilisés et alimentés par des perfusions, sans moyen de se libérer. Leurs seules options sont de dénoncer très vite leurs camarades, de céder à ce conditionnement psychologique et être reformatés pour adhérer aux idées du pouvoir en place ou, in fine, de devenir fous.
Même une battante comme Julia, qui refuse de plier et de dénoncer ses amis, finit par douter de son aptitude à supporter longtemps cette torture insidieuse.
Le quotidien de Nour illustre un autre genre d’oppression. La jeune femme est une migrante qui a fui un pays gangréné par la corruption et les abus de pouvoir pour trouver asile dans un pays tout aussi déliquescent. Elle est contrainte de vivre cachée dans des tunnels désaffectés, d’être dans la clandestinité, usant d’une fausse identité. Elle n’exerce plus son métier, mais un job pour lequel elle est surqualifiée. Le pouvoir en place, dans ce scénario – et peut-être aussi dans notre société actuelle… – ne tolère ces migrants que parce qu’ils constituent une main d’oeuvre bon marché. Les militaires engagent Nour parce qu’il faut bien du personnel pour faire le ménage à moindre frais, et qu’ils pense qu’une immigrée sera plus docile et moins encline à semer le trouble dans des bâtiments ultra-sécurisés. Mais ils n’hésiteront pas à l’éliminer s’il le faut, à la première occasion, s’ils voient en elle une menace pour leur sécurité. Pourtant, elle prend le risque de s’impliquer dans un combat qui n’est pas le sien, du moins pas directement.
Le film montre des personnages qui agissent, s’investissent dans des causes qui les touchent, luttent contre les injustices et les dérives de pouvoir. Et ce n’est pas un hasard si la cinéaste a choisi de mettre deux femmes en première ligne de ces combats de demain – et d’aujourd’hui, en fait… Elle a souhaité trancher avec les stéréotypes machistes présents dans trop de films de genre et oublier l’idée de l’action-hero bodybuildé qui sauve la planète à coups de bazooka, cigare au bec. Ici, les héroïnes progressent par la ruse, l’abnégation, la solidarité, la force des réseaux. Et on adhère à leur combat d’autant mieux qu’elles sont incarnées par deux actrices remarquables, Adèle Exarchopoulos et Souheila Yacoub, opposées à une figure autoritaire jouée par le non moins excellent Marc Barbé.
Avec ce second long-métrage, Aude-Léa Rapin réussit pleinement son pari. Elle compose à moindre frais un univers futuriste angoissant, totalement crédible car en phase avec de nombreuses sources d’inquiétudes contemporaines, et le récit réussit à nous tenir en haleine jusqu’au dénouement. Si on devait lui reprocher quelque chose, ce serait peut-être de faire un peu trop long (1h58). Mais comme on n’a pas envie de finir torturé jusqu’à la démence dans un univers virtuel (passant en boucle le Baby Invasion d’Harmony Korine, par exemple, quel cauchemar!), on ne le dira pas…
Contrepoints critiques :
“De ses ingrédients plutôt passionnants (…), Aude Léa Rapin (qui a écrit seule le scénario) ne réussit malheureusement pas à concocter une recette vraiment convaincante, malgré un début tonitruant.”
(Fabien Lemercier – Cineuropa)
”A French and English-language film medium-budget sci-fi thriller, Planète B. effectively sidesteps your usual world under draconian control and sees Adèle Exarchopoulos and Souheila Yacoub imbuing their characters with a raw vulnerable survivalist energy, but the film’s playful shifts between parallel journeys, dual realities, and interconnected worlds sometimes feels over-stuffed and a bit silly to the point of distraction.”
(Eric Lavallée – ioncinema)
Crédits photo : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema