Premier long métrage en tant que réalisateur pour Simon Moutaïrou, connu jusqu'ici comme scénariste souvent sur des polars ou des thrillers comme "L'Assaut" (2011) et "Braqueurs" (2015) tous deux de Julien Leclercq ou "Burn Out" (2017) et "Boîte Noire" (2021) tous deux de Yann Gozlan. Enfant franco-béninois il explique: "Instinctivement, je savais que mon premier film traiterait de l'esclavage. Avec du recul, je comprends que cet appel venait de loin. Adolescent, j'ai été profondément marqué par une vision : celle d'une immense porte de pierre rouge face à l'océan. Elle se dressse sur le rivage de la ville côtière de Ouidah, au Bénin, le pays de mon père. Elle se nomme La Porte du Non Retour. C'est ici que des familles entières étaient arrachées au continent et déportées vers des horizons inconnus..." Réalisateur-scénariste il s'attache donc à écrire une histoire sur le marronnage (Tout savoir ICI !) et pour se faire il a démarré ses recherches dès 2009 par un voyage à l'île Maurice, puis travaille avec l'historienne Vijaya Teelock qui lui conseille entre autre de lire le livre "Le Marronnage à l'Isle de France, Rêve ou Riposte de l'Esclave ?" (1999) de Amédée Nagapen. Simon Moutaïrou va pendant des années rencontrer plusieurs autres historiennes (Gabriella Batour, Stephanie Tamby, Elodie Laurent Volcy ou Flossie Coosnapa) afin d'étoffer son scénario. Notons que le cinéaste s'est réellement lancé après l'obtention de l'avance sur recette de CNC, et qu'il a pu obtenir un budget de 7,97 millions d'euros, ce qui est modeste pour un tel projet historique... 1759, Isle de France (actuelle île Maurice), Massamba et sa fille Mati sont esclaves dans la plantation de Eugène Larcenet. Lui rêve que sa fille soit un jour affranchie, elle rêve simplement de quitter cet enfer de la canne à suivre. Une nuit, Mati franchit le cap et s'enfuit. Madame La Victoire, célèbre et redoutée chasseuse d'esclaves est engagée pour la traquer. Massamba fait donc le choix de fuir également pour retrouver et sauver sa fille...
Massamba est interprété par Ibrahima Mbaye, acteur sénégalais vu dans le téléfilm "Colombine" (2019) de Dominique Baron, la série TV "Black and White" (2020) de Jacques Kirsner ou le film "Xalé, les Blessures de l'Enfance" (2024) de Moussa Sène Absa, tandis que sa fille Mati est jouée par Thiandoum Anna Diakhere, jeune sénégalaise remarquée parmi des centaines de jeunes sénégalaises. Le propriétaire de la plantation est joué par Benoît Magimel vu récemment dans "Omar la Fraise" (2023) de Elias Belkeddar et "Rosalie" (2024) de Stephanie Di Giusto et retrouve après "L'Ennemi Intime" (2007) et "Cloclo" (2012) tous deux de Florent Emilio-Siri son partenaire Marc Barbé (seul à incarner un personnage historique ayant réellement existé) vu tout récemment dans une autre aventure historique avec le dyptique "Les Trois Mousquetaires" (2023) de Martin Bourboulon. Citons parmi les "blancs" encore Vassili Schneider vu dans "Le Vourdalak" (2023) de Adrien Beau ou "Le Comte de Monte Cristo" (2024) du duo de LaPatellière-Delaporte, Felix Lefebvre vu dans "La Passagère" (2022) de Héloïse Pelloquet, "Mon Crime" (2023) de François Ozon et "Rien à Perdre" (2023) de Delphine Deloget, puis surtout la traqueuse Camille Cottin vue dernièrement dans "Toni en Famille" (2023) de Nathan Ambrosioni, "Mystère à Venise" (2023) de Kenneth Branagh ou "L'Empire" (2024) de Bruno Dumont. Parmi les esclaves citons le français Lazare Emati vu dans "Les Cinq Diables" (2022) de Léa Mysius, le franco-sénégalais Bass Dhem vu dans "Dheepan" (2015) de Jacques Audiard, "Divines" (2016) de Houda Benyamina ou "Bâtiment 5" (2023) de Ladj Ly, puis les burkinabés Lazare Minoungou apparu entre autre dans "Taxi Brousse" (2003), "Rêve de Poussière" (2006) et "Le Monde est un Ballet" (2008) tous de Issa Traore de Brahima, Issaka Sawadogo vu dans "La Nuit des Rois" (2020) de Philippe Lacôte, "Moi Capitaine" (2023) de Matteo Garrone ou "Roqya" (2024) de Saïd Belktibia, puis enfin Odile Sankara comédienne de théâtre réputée dans son premier rôle sur grand écran... Pour commencer il est heureux et nécessaire que ce film existe tant le cinéma français, au contraire du cinéma américain surtout, n'a que très rarement abordé le sujet douloureux de l'esclavage. Ainsi, sur grand écran on ne peut lister que quatre films, les confidentiels et oubliés "Sucre Amer" (1998) de Christian Lara et "Passage du Milieu" (2000) de Guy Deslauriers, puis le plus connu "Les Caprices d'un Fleuve" (1996) de et avec Bernard Giraudeau et enfin la comédie "Case Départ" (2011) de et/ou avec Thomas Ngijol, Fabrice Eboué et Lionel Steketee. C'est peu... Le film a un joli grain un peu délavé qui impose un climax pesant, qui rend la forêt tropical inquiétante, qui retire l'effet exotique des îles. La plantation n'a rien de luxueuse non plus, on est loin des manoirs du sud des Etats-Unis et du gigantisme agricole mais les règles sont similaires et le Code Noir (tout savoir ICI !) reste la norme car il est la loi (comme le fait rappeler le maître Benoît Magimel). Dès les premières minutes, et en seulement quelques minutes le quotidien au sein de la plantation et les règles qui la régissent nous sont compréhensibles. Les protagonistes sont présentés et on comprend les tenants et aboutissants. Ainsi le scénario impose aussitôt un rythme soutenu qui correspond idéalement à la tension et le côté anxiogène au sein de la plantation. Le réalisateur-scénariste a la bonne idée surtout de n'être ni moralisateur ni trop explicatif ni donneur de leçon (au contraire de la comédie "Les Barbares" sorti ce même jour). Le cinéaste conte un récit comme une quête de liberté qui mêle donc la marronnage (la fuite de l'esclave) qui dessine un contexte historique terrifiant et inhumain, avec le film de genre du survival.
Une fois que les éléments sont mis en place la fuite lance la traque et vire le récit dans ce qui est simplement une chasse à l'homme. Cette partie est haletante, passionnante même n'omettant ni l'angoisse, ni l'environnement naturel, ni l'état psychologique et social des personnages en lutte souvent avec eux-mêmes. Par contre on s'aperçoit que le coté mystique prend sans doute trop de place, ou plutôt il prend place de façon pas toujours probante au sein du récit... ATTENTION SPOILERS !... l'épouse décédée qui revient hantée le père comme si elle avait un pouvoir, alors que c'est lui le féticheur, lui qui est censé avoir un pouvoir, elle apparaît un peu trop souvent ce qui casse un peu le rythme de la fuite, le mysticisme est plus intéressant lorsque le père agit et revient à ses fondamentaux... FIN SPOILERS !... Le film reste aussi percutant notamment dans la violence retranscrite, les conséquences d'un fouet ne sont pas adoucies ou mis en hors champs, le fer est palpable mais la violence psychologique est tout aussi frappante (avec le gouverneur !). Malgré le côté mystique ça reste logiquement présent, le pire est ce léger twist qui change l'importance du danger chez les traqueurs... ATTENTION SPOILERS !... le fils qui décide de stopper la traque parce qu'un "marron" l'a épargné, si on peut comprend le travail de conscience vis à vis du père, la mission reste pour la fille, il est donc aussi peu cohérent qu'invraisemblable qui lâche son mère et son frère dans une telle traque, ne serait-ce d'ailleurs, que pour tenter d'épargner ensuite son sauveur... FIN SPOILERS !... Ce dernier point est vraiment le point faible, car il a aussi des conséquences sur le dénouement de la traque. Saluons aussi le casting, Magimel une fois de plus impérial, mais aussi Camille Cottin impressionnante en amazone aveuglée par une foi viciée, et évidemment le duo père-fille Ibrahima Mbaye-Thiandoum Diahere qu'on va assurément revoir bientôt. La dernière partie est beaucoup plus lancinante et onirique, ce qui pourrait aussi être logique et/ou compréhensible si elle n'était si longue, ca casse le rythme de façon trop abrupte. Néanmoins, la fuite et la traque est d'une intensité indéniable, les séquences sont aussi viscérales qu'organiques pour ce qui reste l'unique film français sur le sujet, c'est donc une grande et belle réussite. Pari gagné pour Simon Moutaïrou.
Note :