Les traits superficiels n'ont jamais donné de bons personnages. Tout comme nous, le corps d'un personnage exige des besoins, son être réclame la sécurité, l'appartenance, l'estime de soi et un sentiment d'accomplissement personnel. Un personnage est animé par des désirs. Or, il serait bien maladroit que ceux-ci se réalisent sans effort. Un désir, ce sont de multiples conflits. Norman Bates de Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock ne désire rien d'autre que d'avoir de saines relations avec les femmes mais, des suites d'un traumatisme, il a intériorisé la terrible personnalité de sa mère. Ainsi, Norman n'est pas une simple fonction ou caricature d'un tueur en série, c'est un être profondément étudié qui nous le rend passionnant.
Tout comme n'importe quel être humain, l'autrice et l'auteur ont des préoccupations. Ils ont tendance à les transférer tels quels chez leurs personnages. Il faut résister et confier aux personnages des réactions qui leur sont propres. Considérons Rick Deckard et Roy Batty du Blade Runner (1982) de Ridley Scott.
Deckard aurait pu être le héros habituel avec une conscience morale adéquate et une mission bien définie. Mais non, Scott et le scénariste Hampton Fancher ont créé un être moralement ambigu. Ses actions et réactions ne sont décidément pas celles du héros classique. Et Roy ? Il n'est pas seulement le méchant de l'histoire. Il possède de vraies motivations qui nous parlent : il ne cherche qu'à prolonger sa vie et celles de ses compagnons. Il sauve Deckard et son discours sur l'existence nous remue l'âme et le cœur.
Au-delà des motivations
Tout est dans la psyché de vos personnages. Il est possible de s'appuyer sur la théorie de Freud pour se faciliter la création de personnages. Nous avons les pulsions, l'instinct sous le çà ; un médiateur entre le çà et la réalité : le moi ; et une conscience morale, le surmoi, qui ne dépend pas vraiment de nous.
Du çà, nous inventerons une libido qui ne sera pas modérée par les normes sociales ; nous donnerons au personnage un irrésistible besoin de dominer et de détruire ce qu'il ne peut posséder ; la satisfaction immédiate sans la mesure des conséquences.
Alors le moi intervient. Le çà est brutal : il ne peut que vouloir se satisfaire aussitôt du corps d'une personne qu'il juge attirante. Mais le moi lui rappelle qu'il est plus sain d'établir d'abord une relation ou bien de sublimer (ou détourner) ce désir dans une activité créatrice.
L'instinct est irresponsable mais dans le vivre ensemble, il doit être canalisé par le moi. Le moi cependant ne nous est pas fourni clef en mains. Le surmoi s'impose à lui, c'est-à-dire les valeurs morales comme attentes sociétales et les interdits.
Take Shelter (2011) de Jeff Nichols est un être tout à fait ordinaire jusqu'au moment où il commence à percevoir d'étranges visions. Mais plutôt que de s'interroger sur ce phénomène, il rejette ses angoisses à l'extérieur.
Tout comme MacBeth interprète la prophétie des sorcières en regard de sa propre ambition, Curtis considère ses visions comme le présage d'une catastrophe. Il ne met pas en doute que celles-ci pourraient être le symptôme d'une folie héréditaire (sa mère est en effet schizophrène). Alors pour se soulager, il construit un abri ce qui lui donne l'illusion qu'il contrôle les événements.
Le mensonge et le masque
On se ment, on ment aux autres, on porte un masque pour ne pas se dire soi-même. Le mensonge et le port du masque sont des éléments dramatiques d'importance. Ils offrent une opposition bienheureuse entre vérité et apparence. Le mensonge sera le scandale sur lequel se construit l'intrigue. Mort d'un commis voyageur de Arthur Miller est exactement cela : Loman se ment à lui-même sur ce qu'il est vraiment et cela le mènera à sa chute.
Entre l'être et le paraître s'intercale très souvent un voile qui masque aux regards la vérité de l'être. Dans Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams, Blanche offre aux autres une face de raffinement et de vertu mais c'est pour dissimuler son trouble passé.
Martha Marcy May Marlene (2011) de Sean Durkin, nous oscillons entre le présent de Martha après qu'elle se soit enfuie de la secte et des analepses nous expliquant par bribes son passé au sein de cette secte, non seulement le passé de Martha mais aussi la signification de ses autres prénoms.
The Master (2012) de Paul Thomas Anderson porte un masque comme nous faisons sa connaissance : une personnalité très instable. L'incident déclencheur, c'est-à-dire sa rencontre avec Dodd, initie l'arc dramatique de Freddie qui consiste en la dissolution de son masque.
Mais ce que celui-ci laisse dorénavant paraître, c'est la réalité tragique d'un homme blessé qui ne surmontera pas ses traumatismes.
Porter un masque comme se mentir à soi-même, c'est craindre de révéler sa véritable nature ce qui ne laisse pas de générer un conflit avec soi-même. Prenons Martin et Grandgil de La Traversée de Paris (1956) de Claude Autant-Lara. Martin se ment constamment à lui-même concernant son activité entre survie et morale. Pour Grandgil, le masque est évident : il se fait passer pour un homme du peuple alors qu'il est d'une classe sociale supérieure. Certes, en tant qu'artiste-peintre, cela lui permet de se confronter à une réalité différente de la sienne mais cela le mène à un conflit sur sa véritable identité.
La traversée démontre comment des masques qu'ils soient nécessaires ou choisis mènent à une confrontation avec soi-même.