[Compétition]
De quoi ça parle ?
D’une communauté rurale, quelque part au nord de l’Angleterre ou en Ecosse, à une époque située entre le Moyen-Age et le XVIIIème siècle, qui voit son existence paisible bouleversée par l’irruption de plusieurs étrangers.
Le seigneur de ces terres, Master Kent (Harry Melling) n’a rien du noble tyrannique. Il est plutôt partisan d’un modèle social équitable, permettant aux paysans de ne cultiver que ce dont ils ont besoin pour vivre. C’est ce que sa défunte épouse, vraie propriétaire du domaine, souhaitait et il a respecté ses volontés. Il se mêle volontiers à la communauté et partage les évènements qui rythment leur vie.
Il est même ami avec le protagoniste principal, Walter Thirsk (Caleb Landry Jones), dont la mère a été sa nourrice et avec qui il a partagé son enfance.
Tous mènent une vie tranquille, sans heurts, jusqu’à ce qu’un incendie se déclare au village. Thirsk comprend qu’il a été accidentellement provoqué par des villageois ivres, mais décide de ne pas les dénoncer. Cette décision a des conséquences, car les villageois, furieux, désignent comme coupables trois romanichels de passage dans la région. Sans procès, Kent décide de les punir en attachant les deux hommes au pilori pour une semaine, tandis que la femme, accusée de sorcellerie, est tondue et chassée du village.
Au même moment, un autre étranger arrive au manoir de Kent. Il s’agit de Phillip Earle (Arinzé Kene), un citadin, noir de peau, qui est chargé de cartographier la région, recensant les lieux d’intérêt et leur donnant un nom, tout en répertoriant la faune et la flore locale. Kent demande à Thirsk, blessé durant l’incendie, de l’accompagner et de l’aider dans sa tâche. Les deux hommes, qui partagent le même amour de la nature et sympathisent rapidement.
Mais l’arrivée de Earle précède de peu celle de Master Jordan (Frank Dillane), cousin de la femme de Kent, qui se revendique héritier officiel du domaine. Il prend ses quartiers au manoir et s’atèle rapidement à son projet de réforme. Il entend privatiser les terres et y élever des moutons, plus rentables. Ceci signifie, par ricochet, que les villageois actuels sont priés de plier bagage rapidement. Ceci provoque évidemment quelques remous au sein de la communauté, d’autant que Kent, malgré le lien créé avec eux, ne semble pas s’opposer aux projets de Jordan.
Entre la colère des villageois, le désir de vengeance des romanichels injustement condamnés et la froide détermination de Jordan, moins ouvert et tolérant que son prédécesseur, les choses vont évidemment dégénérer, d’autant que d’autres évènements viennent ajouter au trouble.
Pourquoi le film ne récolte pas notre approbation ?
Les thèmes du récit sont assez clairs. Il est question de l’essor d’un capitalisme sauvage, inhumain et reposant sur la croissance permanente, en opposition à un système plus social, plus frugal et plus respectueux de l’environnement. Harvest parle aussi de migrations forcées (les “romanichels” s’avérant en fait des individus assez semblables à ces villageois, obligés de quitter leurs fermes par un Lord peu scrupuleux), de xénophobie, de la recherche systématique de boucs émissaires pour justifier des problèmes économiques ou des catastrophes frappant un microcosme. Et il parle aussi de rumeurs, de fausses informations et de manipulations de l’opinion, avec des conséquences fâcheuses.
Toute ressemblance avec nos sociétés contemporaines n’est absolument pas fortuite. Si ni l’époque, ni le lieu de l’intrigue ne sont révélés, c’est sans doute pour mieux la faire résonner avec notre époque et ses travers, et en dresser une critique acerbe.
C’est là la principale qualité du film de la cinéaste grecque Athina Rachel Tsangari. Elle réussit à condamner un monde moderne dominé par quelques puissants qui exploitent les peuples et dévastent la nature en toute impunité, sans pour autant glorifier un passé obscurantiste, avec ses coutumes étranges – comme cogner la tête des enfants contre une pierre pour leur rappeler leur terre d’origine, curieuse idée… – et ses superstitions absurdes, pouvant mener au drame.
Le problème, c’est que ce discours politique est dispersé dans une intrigue foisonnante à laquelle on peine à comprendre quelque chose. On ne sait pas si le roman dont est tiré le film, signé Jim Crace (1), était aussi confus, mas le film s’avère assez brouillon et difficile à suivre. Même si les rôles sont campés par des comédiens solides, de Caleb Landry-Jones à Harry Melling, en passant par Rosie McEwen, et on peine à s’attacher à ces personnages complexes, passant étrangement d’un comportement à l’autre, vifs ou atones, et on ne saisit pas forcément du premier coup les jeux d’alliance et d’antagonisme qui se nouent et se dénouent un peu trop vite entre les différentes factions.
Dans un registre assez similaire, on préfère largement Bastarden de Nikolaj Arcel, qui était en compétition sur le Lido l’an dernier.
Si encore le film était esthétiquement réussi, on pourrait lui pardonner beaucoup. Mais ce n’est pas vraiment le cas. L’image est assez crue et ne rend pas justice aux magnifiques étendues de la lande écossaise où il a été tourné. Les pauvres acteurs sont affublés de nippes horribles, à l’instar du pauvre Caleb Landry-Jones, engoncé dans un sac à patates, un T-shirt grunge et un vieux duvet élimé en guise de cape. Certes, cela convient au personnage, cheveux coupés à la serpe, moustache à la Assurancetourix et ongles crasseux, et on ne s’attendait bien évidemment pas à voir des paysans moyenâgeux sapés en Zadig & Voltaire, mais tout de même, on aurait souhaité davantage de beauté, même dans la description de la misère, qui serait bien moins grise au soleil des projecteurs d’un chef-opérateur de talent.
Bref, Harvest nous laisse une impression des plus mitigées. On salue l’idée et la démarche, mais le résultat n’est pas à la hauteur des attentes, ni des autres films de la compétition de la 81ème Mostra.
(1) : “Moisson” de Jim Crace – éd. Rivages
Contrepoints critiques :
”Harvest” consistently dazzles, creating a convincingly unified and imperiled ecosystem through Parker’s richly textured designs, the velvet-and-hessian contrasts of Kirsty Halliday’s grungy, sweat-stained costumes and the itchy grain and weather-faded finish of Sean Price Williams’ beautiful-not-pretty cinematography, with its occasionally Bruegel-ian crowd compositions.”
(Guy Lodge – Variety Comme quoi les goûts et les couleurs…)
”Set in a small Scottish village, HARVEST sets its scene promisingly with an array of fascinating customs of village life. But what could have been a “McCabe”-type of town building saga never clicks as its underdeveloped plot holds us back from becoming invested”
(Thomas O’Brien – @Thomaseobrien sur X)
Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – copyright Jaclyn Martinez Harvest Film Limited