Surprendre son lecteur/spectateur et rester cohérent est une tâche assez difficile. Alors quel que soit le genre, fiez-vous aux rebondissements, aux retournements de situation et aux menaces que ces situations portent déjà en elles si justement.
The Station Agent (2003) de Thomas McCarthy est un être solitaire et qui aimerait bien le rester. Seulement voilà, Joe et Olivia s'installe dans sa vie.
Chacun de ces personnages est marqué par la souffrance qui s'exprime différemment chez chacun d'entre eux. Finbar fuit le monde dont il ne supporte plus le regard, Olivia est encore dans le deuil de son fils et Joe cache derrière sa jovialité une profonde amertume comme résultat de son devoir familial qu'il gère difficilement.
Mais outre le désir de solitude, le véritable besoin de ces trois êtres est de renouer des relations qui leur ont été arrachées. Quant aux rebondissements, ils sont délicats. Ils marquent la lente amitié qui naît entre eux, une amitié nullement forcée, c'est-à-dire que des êtres peuvent s'unir de manière naturelle sans qu'aucun a priori soit nécessaire.
Le retournement de situation
L'intrigue se retourne littéralement. Elle prend un chemin auquel on ne s'attendait vraiment pas. Lorsque votre récit exige qu'une relation change, vous créez un rebondissement. Nous avons une scène de petit-déjeuner. Un couple se prépare comme à l'habitude pour leur journée au bureau. Dans la voiture qui les mène à leurs activités respectives, une violente dispute éclate. Fou de rage, l'un d'entre eux stoppe la voiture sur le bas-côté et laisse l'autre en plan.
Maintenant la relation a changé. Vous aurez pris soin, néanmoins, dans des scènes préalables de placer quelques pics dans les dialogues indiquant peut-être mais sans la réaliser encore que la relation semble bancale mais quel couple, dans la vraie vie, ne connaît pas ce genre d'incident mineur en fin de compte ?
Quant au retournement de situation, c'est l'intrigue elle-même qui change. Cela implique que les événements précédant le basculement seront réévalués à la lumière d'une révélation ou simplement d'un malentendu : l'autrice et l'auteur se sont arrangés pour que nous ayons telle perspective alors qu'en fait, leur propos était tout autre. Joel et Clementine de Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004) de Michel Gondry décident de se faire mutuellement effacer de leur mémoire le souvenir de l'autre, conséquence d'une rupture difficile. C'est la situation de départ mais au fil du processus, Joel prend conscience qu'il a besoin de ses souvenirs les plus doux comme les plus douloureux. De cette prise de conscience, un renversement d'intention chez les personnages se produit.
The One I Love (2014) de Charlie McDowell conte, quant à lui, la tentative de sauvetage d'une relation. La situation initiale est une thérapie de couple mais alors que le lieu choisi pour la thérapie se révèle lentement sous son vrai jour, nous réévaluons la situation et nous nous apercevons que les auteurs se sont joués de nous. (1953) de Billy Wilder ne manque pas de rebondissements mais il a aussi un retournement de situation alors que tout accuse Sefton, l'identité du coupable est révélé et ce que Billy Wilder et le scénariste Edwin Blum nous ont fait croire jusqu'à ce moment prend une toute autre perspective.
Les menaces
Si nous n'avions pas le sentiment d'une menace qui louvoie sourdement sur l'héroïne ou le héros, notre intérêt envers le récit serait bien moindre. Lorsqu'un personnage est jeté dans une situation désespérée, n'est-ce pas de ses choix antérieurs dont elle est le résultat ? Car, en effet, c'est de l'intérieur, tout comme le mal, d'où provient le danger.
Une menace extérieure n'est qu'un prétexte : ce n'est certainement pas elle qui peut mener le personnage à sa perte. Par la menace, l'autrice et l'auteur insistent aussi sur les enjeux qui donnent du sens aux efforts du protagoniste car même s'il se bat contre les ailes d'un moulin, il cherche à donner du sens à son existence.
Les Innocents (1961) de Jack Clayton, la menace ne vient pas des apparitions fantomatiques mais certainement de l'esprit de Miss Giddens. Ce n'est pas cette menace extérieure qui la met en danger mais elle-même à travers ses hallucinations, ses peurs et finalement les choix qu'elle fait en regard de ce qu'elle croit être la vérité.
Et pourtant, son véritable combat est de se prouver à elle-même qu'elle ne cède pas à ses illusions, un combat qu'elle perdra. Arthur du Joker (2019) de Todd Phillips tombe lentement dans la folie et la violence. Bien sûr, il subit des injustices ; son environnement immédiat est une constante menace. C'est pourtant son désespoir et les décisions qui en découlent qui font d'Arthur le Joker, un être de haine et de nihilisme. Dans La La Land (2016) de Damien Chazelle, Mia et Sebastian essaient de percer dans leurs activités respectives. De désillusions en compromis, l'évolution de leur relation résulte en une réussite professionnelle mais au prix de leur amour. Ainsi, des choix personnels, des enjeux comme l'ambition, ne sont peut-être pas catastrophiques en soi (c'est une question de priorités après tout), tueront l'amour qui ne saurait y résister. C'est bien dommage semble nous dire ce récit.