Condamné à 8 ans de prison début mai 2024 en Iran, le réalisateur iranien Mohammad Rassoulof a fui son pays. Lui qui avait déjà fait de la prison pour ses idées présenta son nouveau film à Cannes et reçu le Prix Spécial du Jury. Son film fait référence aux manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, il y a 2 ans, le 16.09.2022 ; jeune femme tuée par la Police des mœurs iranienne pour un voile mal porté. Sur fond d’insurrection contre un régime autoritaire bridant sa population au nom de la religion ; dans la rue les manifestations de masse « Femme vie liberté » sont réprimés avec violence ; Rossoulof choisit alors la voix de l’intime pour nous montrer de l’intérieur, en mode huis clos, les répercussions de cette violence institutionnelle sur une famille lambda. Cette famille est de classe moyenne supérieure avec deux filles, une étudiante et l’autre lycéenne, elles vont se sentir concernées par ce combat et le vivre dans leur chair. Le père, juste promus enquêteur, ne doit sa réussite qu’à lui-même, il vient d’une famille très modeste. Mais aussi au Régime sans lequel il n’aurait pas bénéficier de l’ascenseur social. Son ambition ne s’arrête pas là ; il aimerait gravir l’échelon suprême, devenir juge d’instruction. A sa prise de poste, l’homme est désabusé et conscient de l’absurdité du système et de ses injustices ; mais son ambition ne le pousse pas trop à la rébellion mais plutôt à s’y conformer. Un jour son arme de service disparait chez lui, il soupçonne ses filles et sa femme. Converti aux méthodes policières expéditives ; ne pouvant supporter que le mensonge s’immisce chez lui, sa seule sphère de confiance, il pourra aller jusqu’à user de moyens policiers auprès des siens. On assiste alors à la métamorphose d’un homme bon en complice d’un régime dictatorial. Eloquent aussi de voir comment un homme conscient de la violence d’un système théocratique absurde s’enferme dans le confort de son ignorance juste par satisfaction d’être en haut de la chaine alimentaire. En mêlant histoire de société et drame intime ; Rossoulof montre au combien la société iranienne est malade d’un système à bout de souffle étouffant sa propre population. La mécanique de déshumanisation est à l’œuvre jusque dans le huis clos des foyers ; la cellule familiale n’est que la reproduction à l’état microscopique de la société iranienne. Dans ces pays totalitaires avec une population jeune très majoritaire ; le réveil politique d’une jeunesse éduquée et éclairée doit être tué dans l’œuf. L’éducation et son haut niveau d’exigence doit servir le Régime et non l’émancipation intellectuelle. Ce film démarre comme un drame sur fond historique pour tourner dans son dernier tiers au thriller familial ; la paranoïa s’emparant d’un père de famille tenu par les exigences du Régime. Ce propos a une portée universelle, on ne peut s’empêcher de penser à tous ces Etats faisant passer les manifestations pour des actes révolutionnaires à mater dans la violence et à dénigrer dans des medias tenus par les dirigeants. Dans une moindre mesure ; dans le premier tiers du film, on peut penser au traitement autoritaire du mouvement des gilets jaunes ; dont les victimes de l’usage de la force démesurée et pas toujours appropriée ont été nombreuses.
Le film dure malgré tout 2h45 ; et on comprend bien qu’il repose en permanence sur la parabole et la métaphore ; lorsque l’on a compris ce mécanisme, il peut se révéler long et parfois vain même si son final est poignant. De plus cette parabole est introduite dès les premières images et l’explication du titre ; on aura compris ce qui nous attend dans les 2h45 qui suivent.
Sorti en 2024
Ma note: 14/20