Lettre d'une Inconnue (1948) de Max Ophüls

Réalisateur franco-allemand, Max Ophüls vient de tourner son premier film hollywoodien avec "L'Exilé" (1947) quand il accepte de porter à l'écran un scénario de Howard Koch adapté de la nouvelle éponyme (1922) de Stefan Zweig. Ce dernier est alors un des grands scénaristes de son époque avec des scénarios pour "La Lettre" (1940) de William Wyler, "Sergent York" (1941) de Howard Hawks ou "Casablanca" (1942) de Michael Curtiz, et c'est par son intermédiaire que le réalisateur va recevoir le soutien de William Dozier, Producteur chez Universal et, accessoirement époux de la star Joan Fontaine. Avec ce film Max Ophüls revient à un portrait de femmes, souvent victimes des hommes et se situe ainsi dans la lignée qui va de "Liebelei" (1933) à "Lola Montès" (1955) en passant par son plus grand film "Madame de..." (1953)... Vienne en 1900, quelques heures avant l'aube et sur le point d'affronter en duel un adversaire, mari trompé, le pianiste à succés Stefan Brand reçoit une longue lettre d'une inconnue. Il commence à la lire et va apprendre ainsi qu'il a croisé de nombreuses fois une femme qui l'a aimé en secret sans que jamais il ne s'en soit aperçu...

Stefan Brand est incarné par Louis Jourdan, acteur français qui vient de tourner son premier film hollywoodien avec "Le Procès Paradine" (1947) de Alfred Hitchcock et qui va désormais tourner essentiellement aux Etats-Unis avec entre autre "Madame Bovary" (1949) et  "Gigi" (1958) tous deux de Vincente Minnelli ou encore "Octopussy" (1983) de John Glen. L'inconnue est jouée par Joan Fontaine elle-même devenue star avec "Rebecca" (1940) et "Soupçons" (1941) tous deux de Alfred Hitchcock et dont on peut aussi citer "Ivanhoé" (1952) de Richard Thorpe, "Othello" (1952) de et avec Orson Welles ou "Bigamie" (1953) de et avec Ida Lupino. Citons en suite Art Smith vu dans "Sang et Or" (1947) et "L'Arnaqueur" (1961) tous deux de Robert Rossen, Marcel Journet vu plus tard dans "Ascenseur pour l'Echafaud" (1958) de Louis Malle ou "Le Fantastique Histoire Vraie d'Eddie Chapman" (1966) de Terence Young, Mady Christians apparu dans "La Femme du Pharaon" (1922) de Ernts Lubitsch ou "L'Heure Suprême" (1937) de Henry King, Howard Freeman vu dans "Les Tueurs" (1946) de Robert Siodmak, "La Fosse aux Serpents" (1948) de Anatole Litvak dans lequel joue aussi Celia Lovsky vue plus tard dans "Réglement de Comptes" (1953) de Fritz Lang ou "Soleil Vert" (1973) de Richard Fleischer, Paul E. Burns vu dans "Cinquième Colonne" (1942) de Alfred Hitchcock, "Bronco Apache" (1954) de Robert Aldrich ou "Spartacus" (1960) de Stanley Kubrick, Otto Waldis qui retrouve son réalisateur après "L'Exilé" (1947) et retrouvera Louis Jourdan dans "L'Oiseau de Paradis" (1951) de Delmer Daves, Erskine Sanford vu dans "Citizen Kane" (1940) et "Macbeth" (1948) tous deux de et avec Orson Welles, Roland Varno vu notamment dans "L'Ange Bleu" (1930) de Josef Von Sternberg ou "Marie Walewska" (1937) de Clarence Brown, puis n'oublions pas le jeune Leo B. Pessin qui ne poursuivra pas une carrière outre un petit rôle dans "David et Bethsabée" (1951) de Henry King... Dès le départ on ne peut que revenir sur un aspect incongru mais habituel au cinéma, à savoir les différences d'âge et donc l'incohérence entre acteur et leur personnage. En effet, normalement Stefan est un trentenaire expérimenté et Lisa une jeune femme voir une ado au départ de l'histoire, alors que Louis Jourdan (26 ans lors du tournage) a quatre ans de moins que Joan Fontaine (30). Heureusement, le Noir et Blanc facilité l'illusion, le talent de l'actrice et le maquilleur de Jourdan faisant le reste. 

L'autre soucis, qui reste plus problématique reste les modifications vis à vis de l'oeuvre originel, un détail avec l'écrivain de la nouvelle qui devient dans le film un pianiste, et plus problématique, la fin cruelle et cynique de la nouvelle devient ici beaucoup plus romanesque. Néanmoins, le réalisateur garde l'esprit de la nouvelle et montre avec une mise en scène élégante toute la goujaterie d'un homme qui avait a priori toutes les vertus. Le film montre d'abord une Lisa en ado qui tombe en amour éperdu pour l'artiste Stefan qui lui joue autant du piano que le Casanova tout en multipliant les conquêtes. Le film débute avec la lecture de la lettre avant que le récit se déroule en flash-backs où Stefan voit défiler le destin de Lisa et par ricochet le sien. On est par moment agacé par la naïveté de Lisa, mais son amour sincère et son abnégation envers lui (pour ne pas dire sacrifice) finit par nous toucher. Par là même, Stefan est autant un musicien génial qu'un homme à femmes infâme (!) dont la goujaterie demeure à un niveau assez inouï auquel on a bien du mal à croire ; en effet, le fait qu'il n'a toujours aucun souvenir est à peine croyable. C'est ainsi qu'on ne peut accepter cette fin certe romanesque avec un soupçon de rédemption et/ou de fatalité qui n'a pas la portée de la muflerie (soyons sage !) de celle imaginée par Stefan Zweig. Max Ophüls signe un drame déchirant, un mélo romanesque qui en serait presque féministe tant il pointe du doigt l'homme primaire et égoïste.

Note :  

Lettre d'une Inconnue (1948) OphülsLettre d'une Inconnue (1948) OphülsLettre d'une Inconnue (1948) OphülsLettre d'une Inconnue (1948) Ophüls

17/20