Emmanuelle (2024) de Audrey Diwan

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après son précédent et excellent film "L'Evénement" (2021) Audrey Diwan a écrit pour les autres notamment "L'Amour et les Forêts" (2023) de Valérie Donzelli, "Visions" (2023) de Yann Gozlan et "Pas de Vagues" (2024) de Teddy Lussi-Modeste mais dès 2022 la réalisatrice-scénariste a annoncé son projet d'adapter le roman éponyme (1959) de Emmanuelle Arsan, célèbre de par sa première adaptation sur grand écran avec le film érotique culte "Emmanuelle" (1974) de Just Jaeckin. Audrey Diwan a déclaré : "J'adore les histoires racontées à travers le corps. Avec L'Evénement, j'ai passé ces dernières années à explorer l'idée de la douleur. Ensuite, je dirais "naturellement", j'ai eu envie d'explorer le plaisir. J'aimerais lui redonner ses lettres de noblesse, j'aime filmer le corps en le regardant de tout coeur mais sans provocation. Et je veux embrasser une grammaire propre à la notion d'érotisme. L'érotisme repose autant sur ce que l'on montre que sur ce que l'on cache. C'est de là que vient l'excitation." La réalisatrice-scénariste co-écrit son scénario avec son amie et collègue Rebecca Zlotowski elle-même réalisatrice notamment de "Une Fille Facile" (2019) et "Les Enfants des Autres" (2022) et qui a en commun d'avoir écrit également plusieurs fois pour Teddy Lussi-Modeste. Il s'agit du premier film de la cinéaste tourné en langue anglaise. Au départ, la cinéaste avait annoncé ce projet avec en tête d'affiche Léa Seydoux, puis finalement de se raviser : "J'adore Léa Seydoux. Je veux faire un film avec elle dans le futur. Mais elle ne correspondait pas vraiment au personnage que j'imaginais." Le film est interdit en France au moins de 12 ans, rappelons que le film original était interdit au moins de 16 ans en 1974... Emmanuelle s'envole pour Hong-Kong pour un voyage professionnel. Solitaire elle est néanmoins en quête d'un plaisir perdu et multiplie les expériences. Elle finit par rencontrer Kei, un homme qui ne va cesser de lui échapper... 

Emmanuelle n'est donc plus incarnée par Sylvia Kristel mais par Noémie Merlant qui revient donc à un rôle particulièrement sensuel après notamment "Curiosa" (2019) de Lou Jeunet, et vue plus récemment dans "Les Âmes Soeurs" (2023) de André Téchiné et "Une Année Difficile" (2023) de Eric Toledano et Olivier Nakache. L'autre tête d'affiche est hollywoodienne avec Naomi Watts révélée dans "Mulholland Drive" (2001) de David Lynch et, après quelques années discrètes, qui revient donc sous la direction d'une française après "Perfect Mothers" (2013) de Anne Fontaine, et qui retrouve ainsi après "Le Voile des Illusions" (2006) de John Curran son partenaire Anthony Wong Chau-Sang, star de Hong-Kong de la trilogie "Infernal Affairs" (2002-2003) de Andrew Lau et Alan Mak puis fidèle de Johnnie To avec "The Mission" (1999), "Exilé" (2006) et "Vengeance" (2009) où il jouait aux côtés du plus français des rockers, Johnny Hallyday. Citons ensuite Jamie Campbell Bower révélé dans "Sweeney Todd : le Diabolique Barbier de Fleet Street" (2007) de Tim Burton, vu entre autre dans la saga "Twilight" (2009-2012) et vu récemment dans "Horizon : une Saga Américaine" (2024) de et avec Kevin Costner, Will Sharpe aperçu dans des séries TV "Casualty" (2009-2010) ou "Flowers" (2016-2018) et passé à la réalisation avec "La Vie Extraordinaire de Louis Wain" (2021), Carole Franck vue entre autre dans "Polisse" (2011) de et avec Maïwenn ou "Respire" (2014) de Mélanie Laurent et qui retrouve Audrey Diwan après "Mais vous êtes Fous" (2019), Adrienne Lau aperçu dans "The Card Counter" (2021) de Paul Schrader, Chacha Huang apparue dans "Abuela" (2022) de Paco PLaza, Isabelle Wei aperçue dans le récent "The Crow" (2024) de Rupert Sanders, puis enfin Andrea Dolente apparu dans "Ferrari" (2023) de Michael Mann et "Mon Milieu" (2024) de Milo Chiarini... Le film original comme le livre se déroulait surtout en Thaïlande (pays d'origine de la romancière), ici la cinéaste a choisi Hong-Kong, d'abord pour le côté cosmopolite de la mégalopole ce qui s'avère assez logique pour rimer justement avec "expériences", et pour ne pas jouer la carte parfois trop facile de l'exotisme. Par là même, le roman se déroule dans les années 50, le film de Just Jaeckin se déroule dans les années 70, Audrey Diwan a choisi notre époque ce qui est également judicieux puisque très logiquement les moeurs ont bien évolué depuis un demi-siècle sans pour autant insister sur l'omniprésence #MeToo. La cinéaste n'oublie pas la solitude et ce même si la chair est libre, et surtout elle a écrit son personnage de façon à ce que Emmanuelle "échappe aux injonctions sur la performance sexuelle au détriment du plaisir..." ; c'est sur ce dernier point que la réalisatrice-scénariste a réussi son film bien aidé par sa formidable actrice,, Noémie Merlant ajoutant d'ailleurs : "Dans ce ce film, Emmanuelle ne sera pas objet. Elle sera sujet." 

Evidemment, si on dit Emmanuelle on pense érotisme, la question du sexe est donc évidente. Mais on pourrait aussi débattre et tergiverser sur la notion même d'érotisme alors qu'un terme comme film de charme paraît plus adéquat, car la sensualité semble bien plus élégant comme terme quand on pense au film. Précisons que pour les scènes de sexe Noémie Merlant a travaillé avec Stéphanie Chene, chorégraphe et coach d'intimité avec qui elle travaille depuis le film "Les Olympiades" (2021) de Jacques Audiard. Les scènes de sexe restent finalement limitées, elles ne sont donc pas l'essentiel du film. Des scènes de sexe filmé avec classe et sans voyeurisme gratuit (petite pensée à Kechiche) et repose surtout sur le fantasme plutôt que sur l'érotisme pur, la nuance est importante. Le plus intéressant est que la réalisatrice-scénariste prend le contre-pied complet du film original, de la femme soumise aux désirs de son époux on passe donc à une femme de pouvoir, seule et indépendante mais qui à son revers, celui de la solitude. Une solitude qui semble l'avoir privée de plaisirs, si elle profite des opportunités c'est avant tout pour conquérir ou reconquérir le droit au plaisir ainsi Emmanuelle/Merlant paraît frigide lors de ses rencontres, voir même triste. Il est ironique de voir qu'elle a du désir véritable uniquement pour l'homme qui se refuse à elle ; la séquence de la porte est particulièrement réussie sur une frustration qu'elle n'avait sans doute pas encore connue dans ce sens. Enfin, notons enfin que si cela reste très subjectif, Noémie Merlant est bien plus séduisante et désirable que Sylvia Kristel qui était trop "fragile brindille". Audrey Diwan signe un remake bien plus riche sur le fond et esthétiquement bien plus hypnotique que l'original même si elle n'a pu araser cet écrin vaporeux de superficialité. 

Note :  

14/20