Paimpont, petit village de Bretagne, se prépare à un grand évènement.
L’institutrice, Joëlle (Julie Delpy), militante humaniste engagée, a réussi à convaincre le maire (Jean-Charles Clichet) et le conseil municipal d’accueillir une famille de réfugiés ukrainiens. Même l’élu d’opposition, Hervé Riou (Laurent Lafitte), très à droite, a fini par se ranger à l’avis de la majorité et c’est à l’unanimité que cette décision a été prise.
La famille étant sur le point d’arriver, tout le monde s’active. Joelle finit de meubler la maison mise à disposition par la municipalité. Sa meilleure amie, Anne (Sandrine Kiberlain), qui tient l’épicerie locale avec son époux Philippe (Mathieu Demy), fait le point sur les dons de produits qu’ils vont pouvoir faire à ces personnes qui ont dû fuir les conflits sans rien emporter avec eux. L’édile, lui, peaufine son discours d’accueil, d’autant plus important qu’une équipe de télévision est venue spécialement tourner un reportage grand format sur le sujet, pour une chaîne régionale.
Juste avant le jour J, Joëlle apprend que les réfugiés ne seront pas ukrainiens. En effet, face à un étonnant élan de solidarité, la totalité des demandes d’asile venant de ce pays ont pu être satisfaites, chaque famille ayant rapidement trouvé un point de chute dans l’hexagone. En revanche, il y a beaucoup d’autres demandes en attente, venant d’autres pays du globe. Aussi, la préfecture a choisi de leur envoyer une famille syrienne.
Marwan (Ziad Bakri) débarque donc avec son épouse Louna (Dalia Naous), ses enfants, Dina et Wahel (Ninar et Adam), son père, Hassan (Helou Farès) et sa soeur Alma (Rita Hayek). La plupart des villageois sont là pour leur souhaiter la bienvenue, mais on comprend vite que l’enthousiasme est mitigé.Tout le monde était d’accord pour recevoir une famille de personnes blanches et chrétiennes – orthodoxes, certes, mais chrétiennes –, pas pour accueillir toute une smala de personnes basanées et musulmanes. Hervé se montre le plus hostile et fait circuler une pétition pour se débarrasser des intrus au plus vite. On sent aussi quelques réticences de la part de l’épicier, qui veut bien donner quelques produits – périmés, il ne faut pas abuser – mais pas que ces “barbares” se servent comme s’ils étaient chez eux. La responsable de la crêperie, d’abord accueillante, devient moins hospitalière après que Hassan ait fait un commentaire honnête mais désobligeant sur ses galettes “immangeables”. Face au vent de colère, le garde-champêtre, Johnny (Marc Fraize), ancien policier venu s’installer au village pour sa quiétude, s’inquiète de voir de possibles manifestations violentes, surtout quand des agitateurs d’extrême-droite (parmi lesquels on reconnaît Rurik Sallé, ancien collaborateur de la revue Mad Movies). Et le maire, en bon soldat macroniste, pratique le “en même temps” : ravi de se montrer un édile accueillant, humaniste et généreux, et en même temps très ennuyé de se voir stigmatisé pour héberger des “sympathisants de Daech” qui méprisent les traditions bretonnes. On sent bien qu’en cas de nécessité, il n’hésiterait pas à sacrifier les réfugiés pour sauver son poste…
Et nous, est-ce qu’on apprécie les qualités du nouveau long-métrage de Julie Delpy tout en lui trouvant, en même temps, quelques défauts? Oui, un peu. Et en même temps, on veut le défendre face à certains confrères, qui n’ont pas hésité à le démolir comme s’il s’agissait du pire nanar de l’année.
Parmi les détracteurs de ces Barbares, beaucoup le trouve profondément caricatural et estiment qu’il sert un discours « islamo-gauchiste ».
Ils n’ont pas tort de dire que le film joue sur des stéréotypes. Il y a bien d’un côté des personnages animés des meilleures intentions, humanistes et généreux – de gauche, s’ils veulent, même si ces valeurs devraient être universelles –, de l’autre des personnages xénophobes et inhospitaliers, bas du front, sûrement, fut-il national. Mais n’est-ce pas là le principe des comédies de caractère? Pour que l’humour fonctionne, il faut pouvoir faire se rencontrer des protagonistes radicalement opposés. C’est aussi ce qui permet de les faire évoluer, justement en les sortant de leurs stéréotypes. Ici, Julie Delpy permet à Hervé de changer (un peu, contraint et forcé) son regard sur les étrangers qui se sont installés au village. Elle met aussi Joëlle, l’institutrice militante, face à ses contradictions, ce qui l’incite elle aussi, à s’adapter. Ils ne sont pas les seuls à évoluer, à sortir de la case où on voudrait les enfermer. Les épouses dévouées, Anne et Géraldine (India Hair), se mettent à penser par elle-mêmes et s’affirmer. Tous les personnages sont amenés à changer, même de façon très infime, au contact des autres.
Evidemment, les grincheux vont rétorquer – et c’est là leur principal grief – que cette famille de migrants est tout sauf conventionnelle. Donc, entre parenthèses, pas du tout dans le cliché, il faudrait savoir ce qu’on veut… Ce sont des personnages sympathiques, solaires, tous bien éduqués et cultivés. Le père est architecte, l’épouse graphiste, le grand-père poète et expert en littérature, la soeur médecin et les enfants élèves modèles. La plupart d’entre eux parlent anglais et même déjà un peu le français. Ca aide forcément pour s’intégrer. Et ils sont volontaires, travailleurs, intègres et honnêtes, ce qui ne gâte rien. Un fantasme de migrants idéaux? Oui, sûrement, mais moins, que celui, bien trop répandu, du migrant sale, inculte, voleur, violeur et tueur, prêt à égorger nos femmes et nos compagnes, peur sur laquelle jouent des partis politiques extrémistes, s’appuyant sur le moindre fait divers impliquant un migrant pour en faire une généralité.
Alors oui, Julie Delpy aurait pu écrire une histoire dans laquelle des braves gens bien sous tous rapports voient débarquer des réfugiés dangereux et violents mettant le village à feu et à sang. Mais elle aurait alors signé un thriller anxiogène et aurait aussi essuyé des critiques pour avoir joué sur le stéréotype de l’étranger forcément barbare et criminel. Or elle voulait signer une comédie dans la lignée du Skylab, dans lequel s’affrontaient déjà deux visions politique du monde, durant une réunion de famille nombreuse à la fin des années 1970. A cette époque, il y avait aussi des clivages idéologiques entre conservateurs et progressistes, une peur de l’immigré et une angoisse de l’arrivée des gauchistes au pouvoir – les chars russes allaient débarquer sur Paris si Mitterrand remportait les Présidentielles de 1981… Aujourd’hui, il y a toujours le même clivage, avec en plus la confusion idéologique au centre de l’échiquier où il n’y a plus tant de divergences que cela entre les partis de droite et de gauche modérée. Il y a toujours la peur de l’immigré, accentuée par les importantes vagues migratoires de ces dernières années, suite à des conflits, l’instauration de régimes dictatoriaux ou des crises économiques et climatiques. Il y a la peur de voir les gauchistes insoumis prendre le pouvoir et celle de voir les chars russes arriver à nos portes, sans que ce soit lié, cette fois-ci. Et il y a aussi, ce qui est plus nouveau, la crainte de voir un parti extrémiste et populiste, porteur depuis toujours d’une idéologie xénophobe, remporter les élections, justement en jouant sur la peur de ceux qui sont différents.
Dans le film, Joëlle cerne parfaitement le problème. Elle explique à ses élèves que le raciste est juste quelqu’un qui a peur des autres, peur qu’on lui prenne quelque chose. Une peur parfois totalement irrationnelle, sans fondement, mais qui peut s’avérer dévorante. Et certains jouent avec ce sentiment pour générer de la haine.
Non, le monde tel qu’il est n’incite pas vraiment à l’optimisme et c’est pourquoi la cinéaste préfère en rire, livrant un film optimiste. Ses personnages ne sont pas parfaits, mais ils ont tous un fond d’humanité et de bienveillance. Ils réussissent, en faisant un petit effort, à oublier leurs différences pour se concentrer sur ce qui les rapproche, de quoi entretenir l’espoir d’un futur plus radieux.
On peut trouver cela terriblement naïf, d’accord, et caricatural, on l’a dit. Mais pas plus que d’autres comédies françaises jouant aussi sur l’affrontement de personnages contraires. Citons par exemple Bienvenue chez les Chtis ou Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, pour ne prendre que des succès populaires. Alors, pourquoi Les Barbares n’aurait pas le droit d’user des mêmes ficelles?
Surtout que Julie Delpy fait plus dans la subtilité. Même si certaines scènes aurait mérité plus de finesse, ce n’est jamais une comédie vulgaire qui verse dans la gaudriole. On s’amuse souvent des situations, jouées par des acteurs impeccables et la cinéaste vient toujours chercher l’équilibre entre humour et gravité, pour réussir à faire passer son message de tolérance et de paix.
Après, il n’est pas certain que celui-ci puisse toucher sa cible. L’idée serait de toucher, non pas les spectateurs déjà tolérants et ouverts d’esprits, déjà acquis, mais ceux qui, aujourd’hui, vivent dans la peur des autres et réussir à leur faire comprendre que les étrangers ne sont pas forcément une menace pour la société. Dans le contexte actuel, où plusieurs média se font le relai, et ne s’en cachent plus, des idées les plus conservatrices et les plus extrêmes, matraquant idéologiquement leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs, ce n’est pas gagné. Mais si, par le biais de son humour et de son optimisme, Julie Delpy réussissait à n’en convertir qu’un seul, ce serait déjà cela de pris…
Les Barbares
Les Barbares
Réalisatrice : Julie Delpy
Avec : Julie Delpy, Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte, Ziad Bakri, Jean-Charles Clichet, Dalia Naous, Rita Hayek, Helou Farès, India Hair, Mathieu Demy, Marc Fraize, Albert Delpy, Emilie Gavois-Kahn, Ninar, Adam
Genre : Comédie de caractère
Origine : France
Durée : 1h41
Date de sortie France : 18/09/2024
Contrepoints critiques :
”Au moment où la France dite “périphérique”, privée de services publics, ravagée par le mal-emploi (réalités absentes d’un film totalement à l’ouest sur le climat sociopolitique des campagnes), n’a jamais autant rejeté les élites (…) et voté à l’extrême droite, il n’y a sans doute pas de reflet plus irresponsable à lui renvoyer qu’une telle caricature de fachos bas·ses du front, gaulois·es obtu·es, que quelques niaiseries scénaristiques (les professions “modèles” des réfugié·es syrien·nes, finalement intégré·es parce qu’architecte et médecin, ce qui est en soi plus que douteux, mais à ce stade…) suffiront à remettre dans le droit chemin du vivre-ensemble.”
(Théo Ribeton – Les Inrockuptibles)
“Pourquoi le cinéma français est-il incapable de parler des migrants sans niaiserie ni caricatures ?”
(Emilien Hertement – Marianne) [Il en est tout à fait capable. Voir L’Histoire de Souleymane, film sans niaiserie ni caricature. Mais ce n’est pas une comédie.]
”Les Barbares est une réussite qui démonte que, oui, on peut rire d’un sujet aussi grave que le flux migratoire et que ça fait rudement du bien.”
(Caroline Vié – 20 mn)
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