Un désaccord, une épreuve, un obstacle : tout ce qui entrave la marche inexorable du héros ou de l'héroïne vers la réalisation d'un désir est source de conflit. Que ce soit externe telles qu'une relation toxique ou bien une force qui nous dépasse comme l'est une institution ou la nature, il se crée une situation de crise qu'il faut résoudre.
De ce conflit, nous, le lecteur/spectateur, en éprouvons une incertitude ; nous sommes dans l'attente et cela engendre un malaise, une impatience, une inquiétude. Sans cette tension dramatique, nous échapperons à l'emprise de l'auteur et de l'autrice.
Seulement cette tension ne devrait pas être uniforme. Comme il y a des conflits plus sérieux que d'autres au cours d'une même intrigue, alors il y a des niveaux de tension. Tous les genres ont besoin de conflits diversifiés. Cette diversité dépend de l'effet que l'autrice et l'auteur cherchent à obtenir à un moment du récit. Lorsqu'une héroïne cherche à sauver un être cher alors qu'elle sait et nous aussi que la situation est si désespérée que ses efforts seront vains, nous sommes forcément touchés.
Bien-sûr le conflit a quelque chose de divertissant. Surtout il a du sens. Il n'est pas gratuit. Le conflit est une fenêtre ouverte sur ce que sont les personnages, sur leurs peurs et leurs forces. Parfois nous prenons conscience de nos pulsions et nous nous y adaptons ou bien nous luttons contre elles avec toute la volonté dont nous sommes capables. Bien souvent, surtout en fiction, nous ignorons ce qu'il se trame en nous, dans l'obscurité. Et ce n'est pas parce que nous ne pouvons faire remonter à la conscience des parties de nous-mêmes qu'elles n'en existent pas.
C'est d'ailleurs ce conflit personnel que le lecteur/spectateur trouve le plus divertissant à suivre parce qu'il thématise des notions que nous partageons tous. Quand un héros découvre que la compassion dont il fait preuve envers autrui voile un traumatisme qu'il a connu dans son enfance, il s'ouvre en lui un débat intime. Et nous faisons plus qu'observer ce débat : nous le comprenons parce que cette vulnérabilité, cette humanité, elles sont aussi en nous.
Les relations
Un personnage suit un arc dramatique : il évolue au fil de l'intrigue. Sauf pour quelques ermites qui n'ont besoin pour seule compagnie qu'eux-mêmes (souvent dans une intention de méditation), un personnage établit des relations. Cette relation suit aussi son propre arc dramatique indépendamment de celui des personnages impliqués dans la relation.
Nous avons des personnages avec des désirs et des besoins différents, même s'ils sont amis. Il y a toujours des rivalités, des opinions, des conflits d'intérêt qui divergent. Si l'un croit en son libre-arbitre et qu'il écrit sa propre destinée tandis que l'autre est persuadé du destin, c'est-à-dire que d'un côté on écrit son devenir et de l'autre, celui-ci est déjà écrit, la dynamique de cette relation se fonde sur cette contradiction. Ainsi, le conflit amène jusqu'à nous des thèmes qui préoccupent l'autrice et l'auteur.
Et par dessus tout cela, il y a une force extérieure : une épidémie, l'aveuglement d'une institution, le progrès qui déshumanise toutes nos relations, la nature qui est elle aussi tout à fait aveugle qui blesse et qui tue. Des forces surnaturelles entreront aussi en jeu si elles sont exigées par le récit. Cette externalité des événements fournit le cadre à l'action.
Donc tous ces conflits s'harmoniseront dans l'intrigue. Considérons un moment L'exorciste (1973) de William Friedkin. Le conflit extérieur est la possession de Rejan. C'est lui qui décide de l'objectif, c'est-à-dire du désir de vaincre l'entité démoniaque. Les conflits interpersonnels sont aussi présents : la mère de Rejan lutte contre le scepticisme, le père Karras doit convaincre l'Église et il y a souvent désaccord sur la manière de gérer la situation.
Le conflit intime du héros, le père Karras, s'exprime à travers la relation avec sa mère. Il est miné par la culpabilité de n'avoir su lui offrir une vie digne ; cela remet en cause sa confiance en sa foi, en sa vocation et par là, son engagement envers Rejan.
John Nash dans Un homme d'exception (2001) de Ron Howard est en lutte avec lui-même. C'est le cœur de l'intrigue dans laquelle Nash ne distingue plus la réalité de l'illusion. Les relations de Nash (ses collègues, Alicia) sont profondément affectés par sa schizophrénie qui est la condition du conflit externe lorsque Nash résiste au traitement afin de préserver son identité.