Après "Patients" (2017) et "La Vie Scolaire" (2019) le duo Mehdi Idir et Grand Corps Malade s'attaque à la vie et au destin de l'artiste Charles Aznavour. Mais à l'origine ils ne sont pas les instigateurs du projet, ce sont les enfants de la star Mischa et Nicolas Aznavour qui annoncent en 2020 qu'ils préparent depuis "un bout de temps" un biopic sur leur père, avec Jean-Rachid Kallouche, époux de leur soeur Katia qui assure la production. Mais c'est bel et bien Charles Aznavour lui-même qui a choisi les réalisateurs, après avoir vu et aimé le film "Patients" (2017) quelques mois avant sa mort. Mehdi Idir précise : "Il a toujours pris soin de donner leur chance aux plus jeunes. Il se trouve qu'il est décédé le jour où nous avions tous rendez-vous pour lancer la production de Monsieur Aznavour. Nous avons pris le projet entre parenthèse, réalisé La Vie Scolaire, avant d'y revenir." Rappelons de surcroît que Aznavour avait collaboré en musique avec Grand Corps Malade auparavant entre autre pour les titres "Tu es donc j'apprends" (2010) ou "Ecrire" (2015). Les deux réalisateurs-scénaristes ont tout épluché pour écrire leur scénario, des deux autobiographies de Aznavour aux ouvrages journalistiques en passant par l'écoute des 1200 chansons de l'artiste jusqu'à écrire un scénario pour quatre heures de film. Comme le rappelle Mehdi Idir : "il a fallu élaguer..." Le projet est ambitieux, le budget va logiquement de pair avec un total confortable de 26 millions d'euros... Fils de réfugiés arméniens, pas très grand, pauvre, pas un canon de beauté et surtout une voix dite voilée, Charles Aznavourian a pourtant de l'ambition et va tout faire pour percer. A force de travail et de persévérance il va bientôt réussir et devenir l'artiste français le plus connu à l'international...
Aznavour est incarné par Tahar Rahim qui revient à une histoire purement française après deux superproductions internationales très décevantes avec "Napoléon" (2023) de Ridley Scott et "Madame Web" (2024) de S.J. Clarkson. Parmi la famille Aznavour citons Camille Moutawakil aperçue dans le film "Les Aventures d'un Mathématicien" (2021) de Thortsen Klein puis dans les séries TV "D'Argent et de Sang" (2023) et "Enjoy !" (2024), puis Hoynatan Avédikian apparu dans "Deux" (2002) de Werner Schroeter, "The Cut" (2013) de Fatih Akin ou "Forte" (2020) de Katia Lewkowicz. Citons les autres artistes que Aznavour aura croisé, Edith Piaf alias Marie-Julie Baup vue dans "Jalouse" (2017) et "Les Fantasmes" (2021) des frères Foenkinos ou "L'Esprit de Famille" (2020) et "Délicieux" (2021) tous deux de Eric Besnard, Johnny Hallyday alias Victor Meutelet qui incarne celui qui fut son partenaire dans le film "Salaud, on t'aime" (2014) de Claude Lelouch puis vu ensuite dans "Barbaque" (2021) de et avec Fabrice Eboué, "Les Rascals" (2022) de Jimmy Laporal-Trésor ou "Heureux Gagnants" (2024) de Maxime Govare et Romain Choay, puis Gilbert Bécaud alias Lionel Cecilio aperçu dans "Miss" (2020) de Ruben Alves ou "Coupez !" (2022) de Michel Hazanavicius. Citons encore Bastien Bouillon vu récemment dans "Un Homme en Fuite" (2024) de Baptiste Debraux et "Le Comte de Monte Cristo" (2024) de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière et retrouve après "Simone, le Voyage du Siècle" (2022) de Olivier Dahan sa partenaire Elizabeth Duda aperçue dans "Coexister" (2017) de et avec Fabrice Eboué, "La Belle Epoque" (2019) de Nicolas Bedos ou "Le Mangeur d'Âmes" (2024) de Julien Maury et Alexandre Bustillo, puis enfin Redouane Bougheraba qui retrouve ses réalisateurs de "La Vie Scolaire" (2019)... Lors de la promo, les deux réalisateurs-scénaristes insistent sur le fait que tout dans le film est véridique ! Mais on peut rappeler aussi que tout repose sur les dires de Charles Aznavour dont on peut rappeler que l'autobiographie serait un chouïa romancée comme l'affirme son biographe Robert Belleret. Néanmoins, il faut avouer qu'on aura rarement vu un biopic aussi fidèle et aussi authentique malgré quelques détails. Pour les deux plus flagrants (et rappelons qu'il s'agit de la vie de l'artiste archi connu et donc ce ne sont pas des spoilers !), on constate que le film insiste sur les critiques "racistes" alors même qu'elles restent plus bêtes que réellement racistes (comme il l'est précisé par ses proches) et que c'est surtout qu'il est alors un artiste atypique autant sur son physique que par sa voix, ensuite on insiste sur une période en 1960 qui serait compliquée alors qu'il est déjà une vedette avec une année 1958 à succès qui a amené à un contrat avec Barclay et que le premier rôle pour le film "Tirez pas sur le Pianiste" (1960) de François Truffaut prouve qu'il n'était nullement dans le creux de la vague. Plus que ces éléments plus ou moins omis pour accentuer la dramaturgie, on s'étonne que des événements aient été omis ou occulté, du plus anecdotique comme l'adolescence rebelle de sa soeur Aïda au plus surprenant avec l'époux de ce dernier, grand collaborateur de Aznavour dont le film ne parle pas du tout, sa tournée à Tel-Aviv en 1949 est également occultée, mais aussi la censure de sa chanson "L'Amour et la Guerre" lors de la guerre d'Algérie, où que "Je m'voyais déjà" était prévu pour un certain Yves Montand qui la refusa, et surtout ses scandales de fraudes fiscales dans les années 70. Seul "petit mensonge", quand on sous-entend que Pierre Roche n'a pas pu réussir sans Aznavour alors qu'il est devenu un compositeur réputé au Canada.
Le film s'ouvre avec un superbe et judicieux montage entre images d'archives tragiques sur le génocide arménien, la joie d'une soirée festive alors qu'il est enfant avec en fond la chanson "Les Deux Guitares". La magie opère malgré l'apparent contraste entre la tragédie du génocide et la fête. Ce début de film fonctionne merveilleusement et annonce ainsi la construction narrative qui va s'avérer intelligente et cohérente. Le point fort au niveau émotion est l'utilisation des chansons de l'artiste toujours en adéquation avec les images et la partie de sa vie à laquelle elle correspond. Ce chapitrage permet aussi de maîtriser les ellipses forcément utiles pour conter près de 40 ans d'histoire. Comme de nombreux biopics, la gageure est d'incarner l'artiste, un pari aussi audacieux qu'ambitieux pour les cinéastes mais aussi et surtout pour l'acteur principal, Tahar Rahim. Il faut avouer qu'on a parfois du mal à être convaincu, on alterne constamment entre l'imitation et l'incarnation, on oscille continuellement entre voir l'acteur faire du Aznavour et être bluffé par la ressemblance. On salue la performance de l'acteur qui a étudié plusieurs mois la gestuelle de Aznavour, mais a aussi appris le piano, le chant allant jusqu'à chanter lui-même sur plusieurs scènes. L'interprète est donc à la fois le défaut (imitation parfois simple et caricaturale pas toujours, disons 30% essentiellement au début du film) et la grande qualité (performance d'acteur dantesque, qui amène à une incarnation souvent hallucinante, disons 70% surtout dans la seconde partie du film). Par là même, l'autre personnage marquant, c'est évidemment Edith Piaf, joué par Marie-Julie Baup qui fait oublier Marion Cotillard, la première étant moins dans l'imitation que la seconde dans "La Môme" (2007) de Olivier Dahan. Les chansons de Aznavour ne sont évidemment pas un atout anodin, mais les deux réalisateurs arrivent à les mettre en avant dans une mise en scène élégante et inspirée, rythmant tout le film au gré des titres emblématiques. Mais plus que tout le film reste un hommage galvanisant qui montre aussi toute l'abnégation d'un homme, tout le travail d'un artiste pour qui rien n'était pas gagner d'avance. On note aussi que le film n'évite pas les tares ou les défauts de la star. Malgré ses maladresses et/ou omissions plus ou moins nécessaires (ou pas) il faut avouer que les deux réalisateurs-scénaristes ont réussi leur pari, le film est une véritable réussite. Sur l'ensemble il est sincère et fidèle, il y a du souffle, de la magie et de l'émotion et même un certain panache. Vive Aznavour, vive monsieur Aznavour !
Note :