Réalisme ?

Par William Potillion @scenarmag

Il est admis que le genre se constitue aussi d'attentes spécifiques chez le lecteur/spectateur. Ces conventions supposent que le réalisme d'un fait sera plié aux conditions de la convention. Parce qu'il faut privilégier l'émotion et la passion au détriment du fait.

Pour éviter que la prose ne devienne ennuyeuse, un procédé de rhétorique peut être appelé à la rescousse : l'amplification. Par exemple, si j'avais à écrire un récit historique, je resserrerais la chronologie des événements pour mieux en exprimer le jus dramatique. Pour prendre la mesure des choses, nous avons l'espace des géomètres et le temps des horloges. En fiction, il sera amusant de cristalliser les faits à la manière de Stendhal ( De l'amour, 1822) qui explique que nous donnons aux choses plus de beauté qu'elles n'en ont en réalité. Pour Stendhal, c'est ainsi que nous revêtons l'objet du désir de qualités qu'il ne possède pas.

Je condense donc l'événement afin d'en tirer un jus parfait : j'élimine les détails qui ne servent pas mon propos. Certes, donner un tel aspect sublime aux faits, c'est se détourner de la réalité, mais celle-ci est jonchée de scories qui chahute l'élan d'une intrigue. Ne garder que l'essentiel graisse adéquatement les articulations du récit. Dans la vraie vie, une relation se gangrène par la banalité et l'habitude. La fiction nous offre l'opportunité bénie de n'en goûter que le sel. Alors, à l'image de l'amoureux stendhalien, ne conservez que les scènes aux valeurs et intensités qui manifesteront le mieux votre intention.

Des traits de caractère

Sans tomber dans le stéréotype, appuyons ce qui définit le mieux une personnalité. Je parlerai de quiddité, c'est-à-dire ce qui définit un être. Si j'emploie le mot ange, je n'ai nul besoin de m'étendre en explications pour dire ce que c'est. Le mot lui-même désigne ce dont je parle. Alors puisque nous élaborons des personnalités, trouvons le mot qui les caractérise sans trop d'ambiguïtés. Trouver le bon mot, la bonne image ou le bon archétype crée une conjonction spontanée entre le lecteur/spectateur et le personnage. Dans un scénario, l'économie est la clef d'une lecture sans heurts.

Père & Tyran, le personnage de Ed dans Derrière le miroir (1956) de Nicholas Ray, car cette expression décrit ce qu'est le personnage : d'abord père et mari affectueux et attentionné, sous l'effet de son addiction à la cortisone, le voilà devenir un être tyrannique prêt à sacrifier sa femme et son fils. Par bonheur, il aura sa rédemption (un peu rapide à mon sens, mais conforme aux directives des années 1950 à Hollywood).

Diamants sur canapé (1961) de Blake Edwards est l'incarnation hyperbolique de la frivolité et du charme. Créature de sa propre illusion, l'hyperbole Holy sert une jeune femme en proie à une peur viscérale de l'attachement dont la théâtralité n'est qu'un mécanisme de défense.

Quand on a quelque chose à dire, autant ne pas y aller par quatre chemins. Un thème s'énonce par les enjeux. L'amour, la liberté, la justice, que sais-je ? sont abstraits. On les nomme thèmes pour cette raison. Seulement, il faut qu'ils se manifestent.
Alors la définition des enjeux, c'est-à-dire les obstacles et les autres questions qui se posent au-devant des personnages, seront concrètement les illustrations des thèmes. Un dilemme par exemple : est-ce que je dois lui pardonner ? met en avant l'idée de rédemption ou de vengeance.

Une continuité

Les arcs dramatiques des personnages sont différents, chacune de leurs relations connaît aussi une évolution singulière. Nous avons donc une foultitude d'arcs autonomes. Alors comment apporter une cohérence au récit ? En usant d'un contexte, d'un lieu unique comme une petite communauté ou bien un supermarché, quel que soit l'emblème que vous en tirez.

Don't look up : Défi cosmique (2021) de Adam McKay, ce qui influence tous les personnages, aussi différents qu'ils le sont, est l'imminence de la catastrophe annoncée et tout le monde se retrouve à se mouvoir dans un cadre unique : celui des médias et de la politique (responsables pour McKay de cette catastrophe symbolique que nous devrions prévoir, mais que nos volontés refusent d'admettre).

L'intrigue principale, les intrigues secondaires, les relations entre les personnages et les arcs dramatiques de ceux-ci, tout se lie dans le thème qui préoccupe l'auteur ou l'autrice. L'adieu (2019) de Lulu Wang prend appui sur la demeure familiale pour justifier les actions et les interactions. Le contexte est la réunion autour de Nai Nai dont les jours sont comptés, mais qui l'ignore, et en Chine, il est culturel de ne pas informer une personne qu'elle est condamnée non pas pour lui mentir, mais pour la garder plus longtemps auprès de soi, car cette vérité peut hâter la fatale échéance.

Ici, le lieu est comme une église, c'est-à-dire un lieu de rassemblement et ce qui compte, ce n'est pas tant l'assemblée elle-même (qui peut avoir son importance dans l'intrigue) mais les individus qui la composent.

Les ellipses temporelles sont plus que nécessaires dans un récit. L'exemple d'un paysage qui change au fil des saisons serait perturbateur pour notre esprit si des détails ne seraient récurrents. Ils nous fixent dans le contexte et la cohésion de l'action en est assurée. Le Charme discret de la bourgeoisie (1973) de Luis Buñuel propose une réalité dont il a l'habitude, mais, pour nous, fragmentée, absurde, alors, quand le temps se dilate et se contracte, des éléments visuels comme les salons par exemple reviennent parfois sous des formes différentes, mais toujours reconnaissables pour fixer l'action et nous donner une espèce d'ancre dans le récit.