Contexte & conflits

Par William Potillion @scenarmag

Le contexte peut-il participer activement aux conflits ? Bien-sûr que oui, car il nous offre une opportunité d'en créer. Si je choisis un huis clos pour écrire une scène, quel est l'effet que je cherche à obtenir ? Puisque j'ai deux personnages dans cette scène et que ni l'un, ni l'autre ne peuvent s'échapper, il en ressort les fractures de leur relation.
Cette scène oriente l'arc dramatique de leur relation vers un nouvel état. Peut-être ai-je prévu davantage une réconciliation, mais si je veux que cela soit plus dramatique, moins happy ending, la séquence qui s'ensuit se conclura sur une rupture consommée.

L'émotion, voilà ce qu'il nous faut rechercher. Il est difficile entre deux personnages de faire sentir au lecteur/spectateur les émotions qui les traversent. Avoir recours à un contexte qui conditionne ces émotions devient aussitôt plus passionnant. Une telle expérience est difficile parce qu'elle est subjective. Dit autrement, il nous faudrait pénétrer l'intimité de nos personnages et dans un scénario, c'est compliqué, voire impossible. Les dialogues ? Une solution de continuité qui révèle notre insuffisance à décrire les choses comme elles sont.

Alors le contexte rend les choses bien plus viscérales. Grâce à lui, ce qu'il se passe vraiment dans la scène, c'est-à-dire le jeu des passions, nous atteint aux tripes. Prenons une scène dans une pièce sombre et exiguë, ce lieu devient la transcription physique du ressenti du personnage qui s'y trouve. Orson Welles avec La soif du mal (1958) exploite avec génie le contexte de ruelles sombres dont l'étroitesse presque claustrophobe amplifient le sentiment de méfiance et les dilemmes qui se jouent chez les personnages. Et que dire des interminables couloirs, des chambres vides et ce silence de l'hôtel Overlook de Shining (1980) de Stanley Kubrick. Et le ring de boxe dans Raging Bull (1980) de Martin Scorsese ? Les cordes enferment littéralement LaMotta et nous permettent de ressentir toute la détresse et la fureur qui le rongent.

C'est classique, mais, nous aussi, nous pouvons choisir l'immensité d'un paysage sans refuge pour décrire l'isolement d'un personnage et surtout, son incapacité à créer des relations sincères. Une femme âgée assise seule à la table d'un café, sirotant un café que le garçon lui a apporté sans même qu'elle lève un doigt, révèle avec une incroyable économie de mots le mystère qui l'auréole. Ressentez l'impression, faites-la remonter jusqu'à votre imagination et imaginez le contexte qui l'exprimera le mieux. Ce pourrait être un bon conseil.

Dans l'action

Le contexte spatial et temporel influence et guide les actions. Un sol inégal, des racines qui affleurent dangereusement seront autant d'obstacles naturels à la progression du héros ou de l'héroïne vers le chemin de leur salut. Un personnage gravit une montagne tandis qu'un autre en descend, le contexte a du sens : il n'est pas un élément posé là pour remplir un espace autrement vide. Le fond de l'action est contraignant. Cette contrainte qu'il exerce sur les personnages justifie sa raison d'être.

Cet arrière-plan n'est pas seulement un lieu, c'est un procédé de rhétorique qui amplifie la parole de l'autrice et de l'auteur. On pense conflit, bien-sûr, mais il y a tellement à faire avec un contexte qu'il serait un peu idiot de le confiner uniquement aux conflits, qu'ils soient internes ou externes. Des espaces oppressants sont tout aussi un langage qui décrit la psychologie comme dans Le Silence des agneaux (1991) de Jonathan Demme. L'homme qui n'était pas là (2001) des frères Cohen utilise une Amérique des années 1940 pour décrire le sentiment d'aliénation et de fatalité, de banalité et de solitude, d'inertie et de désespoir de son personnage principal.

Quand je pense le fond, je pense à l'émotion qui s'en dégage. Un personnage rêveur évolue dans un contexte idéalisé : vouloir le réalisme à tout prix nuit à l'écriture. Dans Breakfast on Pluto (2005) de Neil Jordan, les lieux et les situations sont, comment dire, stylisés, irréels, pour être en accord avec la personnalité de Kitten. Si Neil Jordan avait cherché à fonder son récit sur le contexte sociopolitique de l'Irlande et du Londres des années 1970, la personnalité de Kitten n'aurait pu nous toucher autant le cœur. Cela aurait été un tout autre récit. Vittorio De Sica décrit Le Jardin des Finzi-Contini (1970) comme un cadre idyllique loin de l'imminence de la tragédie. Il est un lieu intemporel, baigné d'innocence et de quiétude, un refuge pour des personnages insouciants de la réalité. De Sica n'est pas intéressé par les faits historiques : pour lui, ils sont impuissants à conter. Les événements sont froids, incapables d'émotions. Une évocation poétique transmet bien mieux un monde qui s'effondre sous le poids des événements historiques.

La métaphore

Le contexte a une valeur métaphorique. Il me servira, par exemple, à transcender les limitations humaines comme dans le Ben-Hur (1959) de William Wyler. Victime qui refuse sa condition, Ben-Hur est une métaphore du triomphe sur nos limitations par notre détermination. Certes, ce récit semble nous dire que même si nous écrivons notre destinée à l'encre de notre libre-arbitre, l'élévation spirituelle de Ben-Hur souligne aussi que cette liberté bien humaine est néanmoins une volonté de Dieu.

Cette nouvelle spiritualité pourrait ne pas être possible. L'orgueil et l'ambition sont aussi des attributs très humains. On peut refuser l'inéluctabilité d'un destin, mais on n'échappe pas à sa condition humaine. Auprès de moi toujours (2010) de Mark Romanek décrit des clones qui sont élevés pour prélever leurs organes. Leur questionnement et leur recherche de sens visent paradoxalement ce que cela signifie vraiment d'être humain.
Même si je refuse de me résigner, jamais je n'échapperai à ma condition, à mon humanité, à ma fragilité et à mes aspirations. DansAfter Yang (2021) de Kogonada, Yang, robot de son état, est néanmoins une métaphore puissante de notre condition humaine. Nous ne dépasserons jamais certaines de nos vérités existentielles malgré les progrès de la technologie (et en filigrane des sciences). Et, bien-sûr, de notre spiritualité qui ne contient pas davantage de réponses pour expliquer l'absurdité de notre existence.