UNE FEMME EN JEU (Critique)

Par Cliffhanger @cliffhangertwit

SYNOPSIS : Los Angeles dans les années 1970. Tandis qu'une vague de meurtres défraie la chronique , une jeune femme qui aspire à devenir comédienne et un tueur en série se croisent à l'occasion d'un épisode de l'émission The Dating Game (Tournez Manège).

Woman of the Hour (traduit de manière assez peu probante en VF par Une femme en jeu) est la première réalisation de l'actrice Anna Kendrick , vue notamment dans la saga Twilight. Sur un scénario de Ian McDonald, la comédienne relate ici l'histoire vraie du tueur en série Rodney Alcala, qui a sévi dans les années 70 avant d'être finalement condamné pour le meurtre de cinq jeunes femmes (alors que certaines estimations portent le nombre total de ses victimes à plus de 130). Le long métrage s'attache plus spécifiquement à l'un des moments les plus étonnants de l'épopée sanglante d' Alcala : quand en 1978 il est apparu en tant que candidat dans le jeu télévisé The Dating Game, version US de Tournez manège (mais sans Charly Oleg, les plus anciens auront la référence). La fiction prend cette situation tout à fait authentique comme point de départ, puis imagine que la participante féminine de l'émission, chargée donc de choisir avec lequel des trois prétendants mystères du jour elle acceptera un rencard, est une jeune actrice qui peine à percer à Hollywood du fait de son refus de se soumettre au male gaze des directeurs de casting ou des réalisateurs. Dans le cadre clinquant et kitsch du plateau de télévision, Sheryl - interprétée par Anna Kendrick elle-même - se retrouve sous la menace directe du serial killer, surtout si c'est lui qu'elle devait sélectionner. Le suspense va donc se construire autour de cet enjeu, avec en contrepoint des flashbacks et flashs forward très réussis montrant plusieurs rencontres entre le tueur et ses proies. Cette structure en kaléidoscope, assez osée car elle pourrait briser la cohésion du récit, permet de dévoiler petit à petit la personnalité et le modus operandi pervers du tueur au look de hippie, abordant ses victimes (des jeunes femmes isolées) en se présentant comme un photographe au sourire avenant.


On pourrait redouter un énième film de serial killer complaisant à l'heure où le genre a le vent en poupe, que ce soit en séries ou en documentaires. Il n'en est rien, car Anna Kendrick aborde son sujet avec un parti pris rafraîchissant : là où d'autres cinéastes auraient cédé à une fascination morbide pour Alcala et ses crimes, la primo-réalisatrice choisit de laisser la violence à distance ou de l'atténuer. Adoptant le point de vue des victimes plutôt que celui du monstre, elle fait de celui-ci un type au physique banal, dont le pouvoir de séduction repose sur sa faculté à se faire passer pour quelqu'un de bien - ce qui est d'autant plus facile qu'il est mis en concurrence dans le jeu télévisé avec un idiot fini et un beauf prétentieux. Dans le rôle du tueur, Daniel Zovatto, qui n'est pourtant pas l'acteur le plus charismatique du monde, réussit parfaitement à instaurer le malaise avec ses cheveux gras et son sourire faussement bienveillant. La plus grande force du film est de parvenir, à partir d'un fait divers bien situé dans son époque (les années 70), à aborder avec originalité et subtilité des questions sociétales qui sont plus que jamais d'actualité de nos jours. Sous les oripeaux du thriller macabre, Anna Kendrick livre une chronique acerbe sur l'invisibilisation de la parole des femmes dans la société américaine. Si le tueur a pu perpétrer ses crimes pendant quasiment dix ans sans être inquiété, c'est à cause du patriarcat, nous dit la réalisatrice. Le destin du personnage de Laura ( Nicolette Robinson) l'illustre parfaitement : venue assister à l'émission de télé, cette jeune femme reconnaît en Rodney Alcala l'homme qui a tué une amie à elle quelque temps auparavant. Mais, alors qu'elle est prise de panique, ses tentatives pour trouver de l'aide auprès des hommes se heurtent toutes à l'indifférence voire à la moquerie. Finalement, ni l'agent de sécurité du plateau de tournage, ni son petit ami, ni la police ne l'écouteront et n'agiront... et le tueur en série pourra tranquillement quitter les lieux et faire d'autres victimes.

Une femme en jeu nous fait ressentir avec beaucoup de force et d'émotion l'expérience douloureuse vécue par les femmes dans un monde façonné et régi par les hommes. Le jeu télévisé The Dating Game est un magnifique terreau pour aborder cette question : le principe même de l'émission est de mettre les candidates aux prises avec des hommes qu'elles ne connaissent pas (elles ne voient même pas leur visage) mais par qui elles doivent se laisser séduire. Un dispositif qui non seulement place les femmes en position d'objets (on demande en somme à Sheryl de jouer les ravissantes idiotes en souriant et en posant des questions stéréotypées) mais aussi qui les confronte à la peur qu'elles ressentent à chaque fois qu'elles rencontrent un inconnu de sexe masculin. Peur de se faire agresser, violer, tuer... Ce n'est pas la moindre des réussites du film que de rendre palpable cette peur, notamment dans les yeux de Sheryl, incarnée par une Anna Kendrick toujours très juste : une fois que l'émission s'est terminée, que les lumières se sont éteintes et que les spectateurs sont partis, le piège Alcala se referme implacablement sur la jeune femme, dans une scène sur un parking hallucinante de tension et d'effroi.

Heureusement, quelques rayons de lumière viennent contrebalancer le sombre constat de la domination masculine. Tout d'abord, il y a la sororité, qui s'exprime de diverses manières. Lorsque Sheryl sent la menace monter dans un bar, tard le soir, un regard échangé avec la serveuse suffit à enclencher un geste de solidarité. Et puis il y a les séquences de The Dating Game elles-mêmes, excellemment écrites et pétillantes de drôlerie, qui voient la jeune actrice s'affranchir avec malice et ironie du cadre contraint dans lequel l'émission était censée la maintenir. Un réjouissant moment d'émancipation qui ouvre une perspective d'espoir dans la noirceur ambiante. L'examen de passage derrière la caméra est donc plus que réussi pour Anna Kendrick, qui nous gratifie d'un film féministe intelligent autant que prenant sur les violences sexistes et sexuelles, complètement en phase avec l'époque actuelle et ses débats dans la suite du mouvement #metoo.

Titre Original: WOMAN OF THE HOUR

Réalisé par: Anna Kendrick

Casting : Anna Kendrick, Tony Hale, Jedidiah Goodacre...

Genre: Biopic, Policier, Thriller

Sortie le: 18 octobre 2024

Distribué par: Netflix France

EXCELLENT