Vous avez dit incognoscible ?

Fouiller un personnage, c'est forer en profondeur. À mon sens, il sera plus passionnant de s'intéresser à la personæ incognoscible d'un personnage, c'est-à-dire ce qui est caché de ce personnage, surtout de lui-même d'ailleurs. Ce seront les dimensions inconscientes d'un personnage, des choses de sa personnalité qu'il ignore ou qu'il nie.

Qu'est-ce que la personnalité ?

Elle est d'abord ce qui est récurrent : c'est-à-dire qu'un être introverti se présente ainsi dans les différentes situations dans lesquelles l'autrice et l'auteur le jette. On peut se risquer à dire que cette stabilité de la personnalité d'un personnage est liée à des facteurs biologiques, génétiques, environnementaux ainsi que par ses propres expériences de vie, un vécu qui renforce ou atténue les traits récurrents de sa personnalité.

Lors de l'élaboration d'un tel personnage, il sera prudent de commencer par ce fondement, car c'est ce qui le rendra reconnaissable et cohérent pour le lecteur/spectateur. Ellen Ripley dans Alien, le huitième passager (1979) de Ridley Scott, se distingue d'emblée par sa prudence, son sens de la responsabilité et sa raison qui lui permet de ne pas céder à la panique. Et parce qu'elle reste fidèle à ses valeurs et qu'elle s'appuie sur son pragmatisme malgré l'extraordinaire des situations, nous ne laissons de vouloir nous reconnaître en elle et partant, nous nous y attachons.

C'est dans la personæ incognoscible que se logent les désirs secrets. Cet enfouissement expliquera certaines motivations et des comportements. Prenons comme exemple Travis de Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese. Ce que Travis offre aux regards des autres, c'est sont les efforts de ce qu'il juge être une normalité, conforme aux attentes, dans un environnement dépravé et corrompu.

Comme le garçon de café de Sartre, dans le privé, il existe un autre être, plus sincère que celui qui apparaît dans le monde. Travis, en fait, lutte contre son sentiment d'isolement, ses frustrations et sa colère. Une colère qu'il nourrit surtout envers lui-même lorsque tous ses efforts pour se rapprocher des autres sont inexorablement voués à l'échec.

Sous cette double façade de sa personnalité, il y a un besoin de reconnaissance qui explique bien des choses. En effet, tout provient de son passé de vétéran au cours duquel il s'accomplissait. De retour dans la vie civile, cette réalisation de soi est frustrée.
Alors, il se donne pour mission d'être le sauveur d'un monde en perdition et use de violence pour accomplir cette croisade.

Bien que nous protégions nos pensées, nos émotions et nos sentiments du jugement d'autrui, cela crée en nous des conflits intimes. C'est la dialectique qui se joue entre le public et le privé. Or, pour aller plus loin, pour justifier qu'un personnage prend conscience et assume ce qu'il est vraiment, c'est dans la personæ incognoscible qu'il faut chercher. Car c'est elle qui dicte ses choix et l'incite à ignorer ses besoins.

Lorsque le personnage est contraint d'affronter sa personæ incognoscible, c'est une révélation. Curtis de Take Shelter (2011) de Jeff Nichols est un père aimant qui protège sa famille et tente de maintenir un équilibre. Ce qu'il se passe en lui, il ne le dévoile pas. Sa peur irrationnelle d'une tempête apocalyptique, il ne la partage pas, car il est persuadé que le regard qu'on poserait sur lui se voilerait de folie dans le cas contraire.
Mais d'où lui vient cette terrible conviction ? Son comportement compulsif a une origine. Il ne l'admet pas, or le diagnostic schizophrène de sa mère au même âge le travaille dans les profondeurs. Il ne s'explique pas l'urgence qu'il ressent à construire un abri que tous considèrent comme une folie.

La révélation intervient lorsque, dans un moment d'une intensité incroyable, Curtis admet devant sa famille et sa communauté qu'il pourrait être atteint de la même maladie mentale. Il accepte cette vérité dans un moment de souffrance, mais libérateur.