Cinéma | ANORA – 14/20

Par Taibbo

De Sean Baker
Avec Mikey Madison, Mark Eydelshteyn, Yura Borisov

Chronique : Sans se départir du style naturaliste qui l’a révélé (dans le formidable The Florida Project notamment), Sean Baker hisse sa mise en scène à un niveau supérieur pour Anora, sorte de Pretty Woman d’aujourd’hui, trash, fun et sexy. Des plans élaborés, un montage assuré et intelligent qui ne perd jamais son histoire de vue, une bande-son énergique, des dialogues affutés et une direction d’acteurs sans fausse note, le réalisateur livre un récit d’une grande maitrise qu’il dynamite grâce à des ruptures de ton qui lui permettent de faire cohabiter humour féroce et fable sociale. Car Baker reste fasciné par les marginaux, les outcasts de la société américaine. Il confronte une travailleuse du sexe sans argent, bercée par l’idée du rêve américain, à une oligarchie russe aux ressources illimitées qui engendre des monstres d’égoïsme déconnectés de la réalité. Le réalisateur joue judicieusement de son pitch pour faire preuve d’un épatant et insoupçonné sens du tempo comique tout en capitalisant sur sa portée dramatique pour l’accompagner jusqu’à son dénouement.
Il s’appuie pour cela sur une galerie de personnages particulièrement bien construits, même (et surtout) les seconds rôles, dont il oriente les destins dans des directions parfois inattendues. Il y a dans Anora, dans son rythme et ses personnages, quelque chose de cartoonesque. Ça explose de partout, ça va à 100 à l’heure et part dans tous les sens mais toujours à dessein, celui de nous dévoiler Ani par petites touches. Elle se révèle surtout dans une deuxième partie aux allures de road movie survolté, burlesque et par moment très drôle, alors que le carrosse se transforme petit à petit en citrouille. Anora se pare alors d’un peu de gravité quand la réalité frappe l’héroïne de plein fouet. Le talent de son interprète nous éclate alors tout autant à la figure. Mickey Madison traduit à l’écran toutes les nuances de Anora, ses extravagances, ses rêves et ses insécurités. Une révélation éclatante qui tempère la durée un poil excessive du film.
Fougueux, audacieux et généreux, Anora est un simili-conte de fées déluré et culotté qui explose joyeusement les codes de la comédie romantique. Je ne sais pas si ça suffit à en faire une palme d’Or, je ne pense pas, mais un vrai moment réjouissant de cinéma, c’est certain.

Synopsis : Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage…