Une relation et essentiellement les relations humaines se fondent sur la préservation en chacun de traits singuliers qui font que nous sommes ainsi et non autrement et aussi de quelques affinités qui soudent la relation. En fiction, ce n'est point différent : les personnages ont des personnalités distinctes afin que nous puissions les reconnaître parmi toute la personœ dramatis (c'est-à-dire l'ensemble des personnages) sans jamais qu'il y ait redondance, mais plutôt quelques intérêts communs qui non seulement justifient l'existence de la relation tout en autorisant les conflits et participent aussi à l'évolution de l'intrigue.
Car une relation évolue tout comme chaque individu. Tout comme un arrière-plan (un environnement, un lieu particulier, un contexte), la relation est organique et elle existe de plein droit. Vous remarquerez, mais c'est certainement déjà fait, que votre lectrice et votre lecteur sont davantage passionnés, retenus dans le récit par la description des relations qui y prennent place.
biographies est différent, trouveront dans une relation une espèce de reconnaissance mutuelle, comme une consolation en l'autre. Et bien sûr, cette relation sera mise à l'épreuve de l'intrigue. Dans Never Rarely Sometimes Always (2020) de Eliza Hittman, la relation entre Autumn et Skylar est sincère renforcée par l'environnement difficile. Les deux cousines sont différentes ; néanmoins, il existe entre elles une complicité qui n'a pas besoin de se dire pour s'exprimer.
Love is strange (2014) de Ira Sachs, la relation entre Ben et George est d'emblée expliquée comme un principe. La séparation forcée pour de basses considérations matérielles et morales de ces deux êtres qui s'aiment met à l'épreuve leur union. Ira Sachs décrit une relation qui ne cède pas face aux difficultés d'un quotidien banal.
Des différences nécessaires
le meilleur des mondes possibles. Il existe entre deux êtres des différences. En fiction, la situation conflictuelle est souveraine. Alors que des similarités expliquent une proximité, quelques pierres d'achoppement naîtront dans la relation à cause des personnalités différentes. Ou, plus précisément, de points de vue divergents sur une conduite à suivre par exemple. Dans Loving (2016) de Jeff Nichols, Mildred et Richard ont réussi à trouver la paix pour vivre leur amour. Mildred, néanmoins, a une perspective différente de Richard sur leur situation. Elle décide de son côté de se battre contre l'injustice qui leur est faite alors que Richard ne souhaite pas s'exposer. Ces approches différentes sur leur situation ne laissent de créer une tension dans le couple et c'est bien cela qui est passionnant : comment l'amour résistera-t-il aux tensions et aux compromis toujours nécessaires au sein d'un couple, même très aimant ?
Rappelons-nous qu'une relation connaît un arc dramatique indépendant de ceux des personnages impliqués dans la relation. Cet arc se construit sur un flux et un reflux, de rapprochement et d'éloignement et jamais, jamais, la lectrice ou le lecteur ne peuvent prédire ce que deviendra la relation.
Un antagonisme
Deux personnages peuvent être animés par un même désir. Sauf que c'est cet objectif commun qui fait que l'un s'oppose à l'autre. Un même désir met en exergue des motivations et des valeurs contradictoires. Mieux encore : l'autre nous renvoie nos propres contradictions. L'altérité dans une relation est essentielle. Je développe : un individu est en perpétuelle construction. Posez-vous un instant et vous verrez que vous-mêmes ne cessez de changer au gré de vos expériences.
Nous existons dans le regard de l'autre. Si l'autre ne me renvoyait pas mes propres contradictions, comment pourrais-je en prendre conscience ?
Une relation n'interdit pas qu'on cherche à s'affirmer individuellement. Le souci (bénéfique en fiction) est que cette conscience de soi butte contre la conscience de soi de l'autre. Et cet autre pourrait être nous-mêmes. En effet, un personnage qui souffre d'hallucinations n'est-il pas un moyen dramatique d'exprimer qu'il y a en nous un autre qui tente de s'exprimer ?
En fait, dans notre désir de reconnaissance par l'autre, il s'oppose un besoin d'être libre, car nous assumons nos choix et les conséquences de nos actes et nous exigeons, du même coup, de nous lier à autrui parce que nous sommes ainsi faits. Pour Sartre, c'est même là le problème, puisque le regard de l'autre nous renvoie nos propres imperfections que nous avons tant de mal à reconnaître et ainsi, ce regard devient une menace. On connaît tous des échecs dans nos vies. On s'en console plus ou moins, mais quand l'autre nous les renvoie en pleine face, l'accusation blesse et perturbe.
Le monde, la chair et le diable (1959) de Ranald MacDougall nous conte le récit de trois survivants. Deux hommes, Ralph, un afro-américain, Ben, un blanc et une femme blanche, Sarah, ont pour volonté de reconstruire le monde. Cette volonté commune qui devrait être un progrès pour une humanité renaissante est néanmoins entachée par des motivations et des valeurs qui s'enracinent dans les préjugés raciaux, en somme comme un héritage culturel.
Ben et Ralph se renvoient mutuellement leurs contradictions : Ralph doute d'un avenir possible dans une société incapable de se recréer et Ben se laisse emporter par la peur de perdre ce qu'il juge être son droit ou sa possession. Ces sentiments sont exacerbés par la présence de l'autre.