Dans l'ombre, le roman rédigé à quatre mains par Édouard Philippe en collaboration avec son proche conseiller Gilles Boyer, a été publié en 2011. Pour cette adaptation en plus d'être derrière la caméra, le réalisateur Pierre Shoeller, aidé de Lamara Leprêtre-Habib et Cédric Anger, a signé le scénario avec la collaboration des deux auteurs qui ont également œuvré sur la fiction en tant que consultants. On doit à Pierre Shoeller notamment l'excellent L'exercice de l'état (2011), déjà sans concessions sur le fait politique. Dans l'ombre démontre avec un rythme haletant ce que l'on sait déjà mais en nous donnant le sentiment qu'on le découvre, à savoir qu'en politique, il est question d'avoir toujours un coup d'avance et pour se faire, pas d'autres options que de tout se permettre, y compris les pires violences. Attentats oratoires en direct et en public, rumeurs, coups-bas, intimidations, fake news, traîtrise, tout y passe, mais avec une subtilité scénaristique pas déplaisante. C'est d'ailleurs ce qui glace le plus dans cette série car les pires crapuleries ne font pas l'objet d'une magistrale démonstration mais sont ancrées, comme intrinsèques à la vie politique. Même si Paul Francoeur tient à garder son éthique jusqu'au bout avec César son directeur de campagne, prêt à tout comme il se doit pour son boss. Le niveau de bêtise d'une masse inculte qui se répand notamment sur les réseaux sociaux est sidérant où " une petite phrase malheureuse peut faire plus de mal qu'une mesure impopulaire ". Dans Dans l'ombre, cette consternante époque est disséquée au marteau piqueur et en fait un des intérêts principaux de la série. Une majorité des électeurs semble vouloir qu'un singe imite un lion, et reproche après avoir voté pour lui, d'être le premier plus que le second ! On perd souvent pour des bonnes raisons, mais on gagne toujours pour les mauvaises...
Oui, les électeurs ont les élus qu'ils méritent. Au-delà de la question de la poule et l'œuf, c'est donc la communication qui prend toute la place. Elle substitue les idées, l'émotion et la sincérité. Simplement, il faut constamment être en mouvement, réagir, parler sans cesse, donner le sentiment que... On y voit aussi Les faibles et lâches alignements des " politiciens " sur les pseudos émotions médiatiques des chaînes d'infos. Ou quand le fait divers envahit l'espace et annihile la pensée. Le jeu de dupe est ici déplié avec constance et minutie. Francoeur lutte pour rester honnête intellectuellement et ce combat est terrible. Car ce sont bien les investitures avant le projet pour le pays. Le cynisme est partout et clairement la série ne va pas contribuer à atténuer le rejet massif des élites par le peuple. Qui entre c'est vrai un microcosme déconnecté et le risque d'un poujadisme décérébré, donne à voir ce miroir grossissant de la médiocrité d'une époque. Après, si Dans l'ombre bénéficie d'une mise en scène prenante et qui a le mérite de ne jamais retomber, c'est fatalement difficile et même impossible de ne pas souffrir de la comparaison avec Baron noir (2016-2020). Ce qui est le lot de toute production sérielle politique, tant ce pair est écrasant de génie et d'anticipation. Pour autant, la spécificité de Dans l'ombre se pose notamment dans son intrigue noire et son aspiration à tendre vers le thriller autant que la série politique. Sa mise en scène en mode polar est rythmée et très prenante.
Si Dans l'ombre est bien l'adaptation du roman éponyme, ce sont aussi quelques clins d'œil au réel avec la reproduction de la dévastatrice séquence de la galette des rois au QG de campagne, rappelant avec une ironie bien sentie le début des pires heures de l'affaire Fillon. Ou encore quand au téléphone, lors d'une scène anodine, on reconnaît distinctement la voix d' Edouard Philippe. Pas aussi drôle que le déjà si regretté Michel Blanc dans Le père noël est une ordure (1982), mais l'idée est bien là. A noter qu'il existe aussi quelques bonnes vannes, souvent par un biais ironique avec la voiture intelligente du candidat de droite qui se conduit toute seule, voiture qui s'appelle... Bernadette !! On y trouve aussi un immense discours sur la forme lors de l'avant dernier épisode, provoquant un petit frisson, qui n'est pas sans rappeler la flamboyance du monologue de Philippe Rickwaert dans le dernier épisode du Baron noir. Au casting, Melvil Poupaud fait grave bien le job et évite les caricatures inhérentes à ce genre de composition. Karin Viard arrive également à changer le registre habituel et incarne plus qu'elle n'imite. Mais il y en a deux qui crèvent l'écran. Swann Arlaud tout d'abord. Sa sensibilité en fait un interprète impressionnant tout le temps. Ici, il force en plus sa nature, tant selon son propre aveu, il était malade tout le tournage, de devoir incarner à l'écran tout ce qu'il exècre à la ville. Et il y a... Baptiste Carrion-Weisse, qui nous ferait penser à une sorte d'hybride sarko-zemmourien en mode jeune premier. Autant dire insupportable mais à sa façon terriblement habile et stratège. L'acteur se glisse avec un talent fou dans les habits de l'ambitieux qu'on adore détester. Son jeu est ici assez fascinant d'authenticité. Au final, Dans l'ombre tient largement son rang et on ne décroche quasiment jamais. La série ne va pas nous réconcilier avec les médias, le pouvoir et la politique, mais elle apporte une contribution très ingénieuse sur le fond et largement plaisante à regarder sur la forme.
Crédits : France TV