Quelle étrange expression : liberté féconde de l'esprit. Ce qu'elle signifie, c'est qu'un récit s'abreuve de l'esprit libre. Mais qu'est-ce qu'un esprit libre ? Quand on est scénariste, il nous faut la liberté de créer des mondes, des personnages et des situations sans que nous soyons contraints par nos peurs ou bien par le conformisme. Laissons-nous porter par nos propres idées, surtout si elles sont inconfortables. La moindre impulsion sera créative ou ne sera pas.
Quand on écrit dans un genre, il y a des conventions. Commençons par nous en libérer, quitte à y retourner plus tard. Si on veut respecter d'emblée les conventions, on se sentira très vite piégé. La fertilité dans un récit n'aime pas les sentiers battus pour s'épanouir.
Pensez votre personnage principal en termes de contradictions. Un être humain est fait de ces contradictions alors lorsque votre personnage prend une décision, autant que celle-ci s'harmonise avec l'un de ses désaccords personnels. Jackie dans Le Convoi de la peur (1977) de William Friedkin oscille entre un désir sincère de rédemption et sa nature égoïste doublée d'un instinct de survie particulièrement développé.
Ainsi, l'intériorité de Jackie est incessamment en lutte contre elle-même : ce pont qu'il traverse peut le mener à la mort. Il sait qu'il devrait renoncer ; sa raison cependant est vaincue par sa nature qui le pousse à risquer sa peau. Cette lutte est à la fois sa force et sa faiblesse et pour cela, nous l'admirons. Écrivez des personnages qui se battent avec eux-mêmes, qui se mentent à eux-mêmes, qui passent d'une motivation à l'autre sans complètement comprendre pourquoi, et vous trouverez en lui l'humanité qui nous le fera sinon aimer, du moins apprécier.
Il est juste de ne pas tout savoir à l'avance. On planifie les grands moments de son intrigue, sans vraiment avoir de certitude. Un scénario est une œuvre qui se crée au fur et à mesure de l'écriture et les zones d'ombre qui apparaissent ne seront pas bloquantes : elles s'éclaireront plus tard. Alors, la relecture devient essentielle pour s'assurer qu'aucune ombre ne subsiste, car ce serait de l'incohérence ou des indices posés qui ne trahissent rien. C'est dommageable pour le récit. Laissons notre pensée se découvrir elle-même.
Et laissons-la assumer son empathie. L'élaboration d'un personnage consiste à adopter une perspective étrangère et de ne pas la juger. Si je pense, par exemple, à un migrant qui a perdu son foyer, il me faut comprendre ses craintes, ses espoirs. Ce n'est pas tant d'expliquer ses motivations qui importent, car elles peuvent ne pas être comprises par le lecteur/spectateur. Or, la tension qu'il éprouve lors de sa pérégrination, celle-ci, nous la ressentons par procuration, même si nous n'avons jamais vécu une telle expérience.
C'est ainsi que ses choix et ses actions s'appliqueront en accord avec sa nature. Un esprit fécond s'exprime et ne s'emprisonne pas lui-même dans sa vision des choses. Il accepte les différences, il donne une voix aux figures même les plus improbables. Un esprit fécond rêve et donne au silence une présence.