Les actions et réactions d'un personnage, ce qu'il dit lors d'une scène, devrait transmettre son état intérieur à ce moment. Il y va de la cohérence de la scène dans le tout et du réalisme du personnage, quel que soit le genre que chemine le récit. Admettons qu'il s'instaure un lien de confiance entre le récit et le lecteur/spectateur. Lorsque l'autrice et l'auteur explicitent l'état d'esprit d'un personnage dans une scène, en conséquence, ce qu'il fait ou dit dans cette scène ne semble pas arbitraire ou forcé en quelques manières.
Qu'entend-on par cohérence ? Votre héros et votre héroïne se sont montrés jusqu'à présent éminemment résistants jusqu'à ce qu'ils éprouvent une fatigue souvent davantage intellectuelle que physique. Des indices de cette usure progressive ont été montrés lors des scènes précédentes et donc, lorsque la scène au cours de laquelle ils prennent soudainement une décision qui ne correspond pas à leur personnalité habituelle, on l'accepte parce que nous y avons été préparés. Ainsi s'assure la cohérence du personnage avec la scène.
Never Rarely Sometimes Always (2020) de Eliza Hittman, les émotions et les états d'âme de Autumn apparaissent par exemple à travers ses silences. Les expressions du corps d'Autumn nous parlent sans que celle-ci ait recours à un monologue intérieur. The Florida Project (2017) de Sean Baker nous montre le difficile quotidien d'une enfant à travers ses yeux. Ici aussi, les émotions sont transmises par les comportements, les jeux des enfants, les expressions. Les mots sont vains à exprimer une situation émotionnelle et sociale. Notre œil suit celui de la mise en scène qui montre l'insouciance, la colère ou la frustration dans un contexte plutôt sombre.
A l'attention du lecteur/spectateur
Un récit s'adresse à sa lectrice et à son lecteur. C'est par l'empathie que nous apprécions les personnages, par une expérience émotionnelle. Il faut donc que nous y construisons des émotions, c'est-à-dire comprendre au niveau humain ce que le personnage vit à ce moment du récit. Comment expliquer autrement que nous nous investissions dans le sort d'un personnage ?
On n'échappe pas à l'actionMartha Marcy May Marlene (2011) de Sean Durkin, jamais nous n'aurions pu nous saisir de ce personnage si le jeu entre présent et analepses ne nous faisait sentir cette sentence d'excommunication qui pèse lourdement sur Martha, comme si notre vécu, nos expériences passées étaient notre propre Golgotha et pour que nous appréhendions celui de Martha qui possède bel et bien cette tendance à l'universalité, nous devons y reconnaître des émotions et des sentiments.
Si nous comprenons les doutes, les peurs, les traumatismes d'un personnage, alors nous pouvons nous investir dans son destin ou sa destinée et nous ressentirons le besoin, je dis bien le besoin, pas un simple désir, de savoir s'il connaîtra ou non la paix. Ce qui demeure enfoui en un personnage, c'est précisément ce qui doit nous apparaître. Le silence n'est pas une absence, un geste retenu est plus assourdissant qu'une gifle, un regard ou une hésitation et nous voilà pris dans l'expérience d'une émotion. Il nous faut créer un espace dans lequel le lecteur/spectateur comblera le récit de son propre ressenti.