Souleymane entre dans un bureau de l’OFPRA pour sa demande d’asile ; c’est la première scène. Puis court flash-back de 48 heures, caméra à l’épaule, au plus près de ce réfugié guinéen, on va suivre son quotidien durant les deux très longues journées qui le séparent de son entretien décisif avec l’administration française en vue de la légalisation de sa présence en France. Et là, le film hyper documenté par Boris Lojkine devient oppressant car on prend pleinement conscience des conditions de survie dans lesquelles sont plongées les illégaux. Pas un moment de répit, du matin où déjà il faut réserver sa place en hébergement d’urgence dès l’aurore pour ne pas dormir dans la rue le soir même ; où il ne faut pas louper le bus au risque réellement passer la nuit dehors. C’est une course contre la montre : le boulot de coursier illégal, les démêlés avec la police, les clients et les petits escrocs, les accidents de vélo, les coups de téléphone, les femmes laissées au pays, le centre d’accueil blafard qu’on rejoint à la nuit tombée, et le trac de l’entretien qui approche à grands pas. Récit d’une histoire qui n’est pas la sienne mais qu’il apprend par cœur car elle est celle qui apparemment a le plus chance de valider sa demande de papier. La mécanique de ce film hyper réaliste dans une veine social à la Dardenne (on pense à « Rosetta ») tourne au thriller, à l’angoisse, la peur pour lui, pour sa santé, son intégrité physique. Bouleversant, mais d’une justesse incroyable ; Lojkine fait bien attention de ne jamais tomber ni dans l’angélisme ni dans le misérabilisme. Et il était pourtant facile de faire du larmoyant, de tirer sur les institutions (Police, OFPRA,…), de faire un film partisan ; le seul parti pris est de donner vie à ses sans visage qui livre les repas dans des conditions de vie indigne. Ensuite, il ne faut pas craindre ce type de film, on est à l’os, pas d’affèterie ou de coquetterie ; c’est un film brut mais doux à la fois. Ces 48 heures réservent tout de même quelques respirations à Souleymane dont la belle rencontre avec une personne âgée dépendante chez elle ; la rencontre de deux personnes en position de faiblesse, à la merci de la société. Et le second souffle réside dans un final dont on ne peut sortir sans lâcher sa larme. La caméra se pose dans un champ/contre champ lors de l’entretien final avec la conseillère OFPRA après nous avoir fait tournoyer durant 1h20. Nina Meurisse, seule comédienne professionnelle, dans un film d’acteurs amateurs, mène l’entretien pour la scène la plus poignante du film. Et en face d’elle, celui qui a obtenu le prix d’interprétation masculine à Cannes, avec un vécu proche de son personnage, Abou Sangare qui a habité de bout en bout ce personnage avec une intensité et une vérité rare. Il est déchirant ; surtout que le cut final écran noir sans musique nous plonge dans une émotion forte. De musique quoi qu’il en soit il n’y en aura pas durant 90 minutes et çà renforce le propos du film.
Prix du Jury de la sélection « Un certain regard » à Cannes ; foncez comme Souleymane sur son vélo pour rendre hommage à ces invisibles.
Sorti en 2024
Ma note: 17/20