Au départ, c'est le Jean-Claude Grumberg, auteur du roman éponyme (2019) qui proposa au réalisateur Robert Guédiguian de porter sur grand écran son livre qu'il est en train d'écrire mais ce dernier refuse car il ne se sent pas capable de la faire. Néanmoins, il restera attaché au projet en devenant co-producteur, entre autre avec les frères Dardennes, et surtout il suggère à l'auteur de proposer le projet à Patrick Sobelman, producteur de "Les Amandiers" (2022) de Valérie Bruni-Tedeschi ou "La Dernière Reine" (2022) de Adila Bendimerad et Damien Ounouri. Le producteur propose le projet à Michel Hazanavicius qui change une énième fois de registre mais retrouve un peu le conte pour enfant après l'oubliable "Le Prince Oublié" (2020) et la guerre bien que d'une autre époque après "The Search" (2014). Mais surtout, l'ironie du sort fait que Grumberg était un ami des parents de Hazanavicius, et tous deux ont donc une approche de la Shoah qui les touche particulièrement. Le réalisateur a d'abord hésité, d'abord parce qu'il n'était pas à l'aise avec le sujet, puis parce que le dessin est une passion intime qu'il lui fallait donc mettre en avant. C'est son épouse, l'actrice Bérénice Bejo qui l'a convaincu de se lancer dans ce projet. L'auteur a donc collaboré et co-écrit avec le réalisateur-scénariste cette histoire, dont l'adaptation animée a été assurée par Hazanavicius lui-même. Pour écrire et approfondir l'histoire de façon la plus authentique possible, le cinéaste s'est rendu à Auschwitz, a relu "Si c'est un Homme" (1947-1958) de Primo Levi, s'est inspiré de dessins de déportés, et notamment pour les grands yeux ronds du personnage de l'illustrateur Gus Bofa, vétéran de 14-18. Néanmoins, la volonté de véracité historique du cinéaset a été un peu freiné par Grumberg qui a rappelé qu'il s'agissait aussi un conte et qu'il fallait rester abordable pour les enfants...
Il était une fois un couple de pauvres bûcheron qui vivait dans un grand bois. Outre le froid rigoureux de l'hiver il y a aussi les drames de la guerre. C'est ainsi qu'un jour madame la bûcheronne recueille un bébé qui a été jeté d'un des nombreux trains qui traversent leur forêt. Cette petite chose va bouleverser le couple de bûcherons, mais aussi tous ceux qui vont croiser le destin de cette petite marchandise... Le narrateur est incarné par Jean-Louis Trintignant dont c'est le dernier rôle, acteur dont la voix aura marqué de nombreuses oeuvres mais évidemment surtout le cinéma comme le doublage de Jack Nicholson dans "Shining" (1980) de Stanley Kubrick ou le narrateur en V.F. de "Le Ruban Blanc" (2009) de Michael Haneke. L'acteur retrouve à l'affiche après "Ceux qui m'aiment prendront le Train" (1998) de Patrice Chéreau l'actrice Dominique Blanc qui n'avait pas participer à un long métrage depuis "L'Origine du Mal" (2022) de Sébastien Marnier, interprétant la bûcheronne elle a comme époux Grégory Gadebois qui retrouve Hazanavicius après "Le Redoutable" (2017) et "Coupez !" (2022), puis qui retrouve après "Musée Haut, Musée Bas" (2008) de Jean-Michel Ribes, "J'Accuse" (2019) de Roman Polasnki, "Présidents" (2021) de Anne Fontaine et "Le Tourbillon de la Vie" (2022) de Olivier Treiner son partenaire Denis Podalydès qui avait déjà prêter sa voix pour d'autres films d'animation avec "Kérity, la Maison des Contes" (2009) de Dominique Monféry et "Mary et Max" (2010) de Adam Elliot... Notons que la musique est signée du maestro Alexandre Desplat, compositeur oscarisé et césarisé fidèle de Jacques Audiard et Wes Anderson qui retrouve Hazanavicius après "Coupez !" (2022)... D'emblée on sait que Hazanavicius a modifié deux paramètres comme il le déclare au CNC : "Dans le livre, l’histoire du père qui abandonne son bébé et celle des bûcherons qui le recueillent avancent en parallèle. Moi, j’ai créé un mouvement qui part du conte, qui assume son côté « il était une fois » avant que, petit à petit, la réalité s’immisce dans l’histoire à travers les yeux des personnages. Et j’ai aussi changé la scène des retrouvailles finales entre le père et sa fille. Dans le livre, il lui souriait, elle lui souriait et il repartait. J’ai ressenti le besoin de montrer le rejet de la petite fille, et que le père comprenne à travers les yeux de son enfant ce qu’il est devenu – un être totalement déshumanisé. Cette scène le pousse à choisir de refaire le même sacrifice qu’au début du film."...
D'abord on savoure le dessin de Hazanavicius, à la fois simple et très humaniste, idéal au vu du sujet et pour souligner un style BD qui atténue l'horreur ambiante. Si le narrateur insiste pour ne pas être comparé au conte du Petit Poucet il n'en demeure pas moins que le début y emprunte beaucoup. Finalement la première partie est un peu redondante et se focalise trop sur l'isolement de la petite famille même si ça reste touchant. Le drame concentrationnaire se résume trop au passage du train. Il faut attendre que des soupçons s'éveillent pour que le récit devienne un peu plus palpitant. Par contre le récit est composé de deux passages maladroits... ATTENTION SPOILERS !... D'abord la réaction du vétéran, gueule cassée avec donc une véritable expérience, qui arrive face à des soldats de la façon la plus stupide qui soit, incompréhensible pour ne pas dire invraisemblable, puis le passage graphique symbolisant les charniers, seul passage où les dessins du réalisateur ne sont pas adéquats, en effet les visages expriment plutôt des zombies agressifs plutôt que des victimes devenues comme des morts vivants... FIN SPOILERS !... Mais le récit évolue enfin avec la seconde partie, c'est aussi tragique qu'émouvant, montrant l'horreur sans être démonstratif, laissant l'imagination faire le reste. On note l'inspiration du réalisateur par "Les Lumières de la Ville" (1936) de Charles Chaplin, et une conclusion un peu trop "déjà vu" mais qui fonctionne toujours bien. En conclusion, un joli conte dramatique, bien fait bien construite et bien mis en image, et d'un point de vue pédagogique juste assez intéressant pour le conseiller à tous.
Note :