Le Royaume (2024) de Julien Colonna

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Premier long métrage de Julien Colonna après le court-métrage "Confession" (2015) et plusieurs épisodes de la série TV "Gloria" (2021). Julien Colonna a eu l'idée lorsque sa femme lui a annoncé sa grossesse il y a six ans le poussant à réfléchir sur l'enfant qu'il a été et sur le père qu'il pourrait être. Mais en vérité il s'inspire sans aucun doute de sa propre expérience avec son père Jean-Jérôme Colonna (En savoir plus ICI !). Le réalisateur-scénariste co-écrit son histoire avec Jeanne Herry, réalisatrice des excellents "Pupille" (2018) et "Je Verrai toujours vos Visages" (2023). Notons qu'en cette même semaine de sorties cinéma on peut voir cette histoire corse comme l''antithèse corse de la comédie "On aurait dû aller en Grèce" (2024) de Nicolas Benamou... 1995, Corse, Lesia vit son premier été d'adolescente. Un jour, un homme fait irruption, la kidnappe et l'emmène en moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, un homme en planque avec ses hommes. Le clan est en guerre et l'étau se resserre. La cavale devient inévitable, durant laquelle père et fille vont rattraper le temps perdu... 

Une grosse partie du casting est composée d'amateurs ou de débutants, dont Lesia qui est incarnée par la jeune Ghjuvanna Benedetti. Citons aussi Saveriu Santucci, Régis Gomez, Eric Ettori, Attilius Ceccaldi,  Ghjuvanni Biancucci, Joseph Pietri, Alexandre Joannides... Parmi les acteurs plus connus citons ensuite Anthony Morganti apparu dans "Borgo" (2024) de Stephane Demoustier, Andrea Cossu aperçu dans "A son Image" (2024) de Thierry De Peretti, Frédéric Poggi vu dans "Permis de Construire" (2022) de Eric Fraticelli, "La Petite Bande" (2022) de Pierre Salvadori qui retrouve après "Itinéraire Bis" (2011) de Jean-Luc Perreard son partenaire Thomas Bronzini de Caraffa vu dans "Le Silence" (2004) de Orso Miret et "Un Moment d'Egarement" (2015) de Jean-François Richet, Pascale Mariani aperçu dans "L'Homme Parfait" (2022) de Xavier Durringer, Marie Murcia apparue dans "Des Feux dans la Nuit" (2020) de Dominique Lienhard, puis enfin Toussaint Martinetti vu dans "Rock'n Roll" (2016) de et avec Guillaume Canet, "Une Vie Violente" (2017) de Thierry De Peretti ou "Elyas" (2024) de Florent-Emilio Siri... Le scénario est d'une grande intelligence, et frappe par sa construction aussi maîtrisée que maline tout en gardant un côté très réaliste qui évite les pièges du polar de base. La criminalité corse est une source riche et complexe pour la fiction bien aidé par les fantasmes et l'iconographie générale jusque dans les informations journalistiques, mais cette fois Julien Colonna démystifie le grand banditisme classique tout en gardant ce qui fait la particularité corse, dans l'âme comme dans la culture. Après les premières minutes très terroirs où le style naturaliste s'impose d'emblée, le récit entre dans le vif du sujet mais sans en dire trop. Ainsi le mythe de l'omerta s'impose aussi au film qui fait le choix judicieux d'être avare en dialogues pour favoriser les regards, les non-dits, les apartés et les secrets.

La mise en scènes évite toute esbroufe mais reste au plus près de ses personnages, alternant entre les gros plans ou plans serrés surtout sur le duo père-fille, puis via des plans contemplatifs sur les magnifiques paysages de l'Île de Beauté. Le récit évolue suivant le regard de Lesia/Benedetti, témoin malgré elle d'une guerre d'influence sanglante et qui va malgré elle devenir aussi une actrice. La grande force du film réside aussi à la dimension réaliste appuyée par la grande intelligence d'éviter l'écueil de montrer des criminels héros comme le réalisateur l'explique lui-même très bien : "Les voyous ne sont ni héroïsés, ni sacralisés, au contraire, ils sont montrés comme les pénitents de leur propre vie, des fantômes qui sont déjà morts mais ne le savent pas encore. Contrairement aux idées reçues, les restaurant chics sont rares, les belles voitures prohibées car trop voyantes, les jolies femmes souvent accablées par le poids de l’inquiétude." C'est le gros point fort du film. Le film étant très peu bavard, le film est par là même jamais trop explicatif, le spectateur comprend tout sans qu'on lui fasse la leçon ce qui est particulièrement agréable. La tension est constante, sans qu'on sache qui va subir quoi et à quel moment. L'autre bon point reste la relation père-fille, touchante sans être mielleuse, émouvante sans être trop de sentimentalisme, la sobriété de la mise en scène n'a d'égal sa sobriété dans les émotions et le jeu des acteurs. En prime donc deux acteurs magnifiques, père/Santucci et fille/Benedetti forment un duo en équilibre parfait. Et enfin, quand arrive la fin, on est séduit par le choix du cinéaste, qui après un début terroir corse finit sur un message universel sur la nécessité de l'éducation. Bien joué. Jean Colonna réussit un bel hommage à son père, à la Corse tout en montrant du doigt que le grand banditisme inhérent à la région est aussi ancestral qu'un poison insidieux. Un grand film à voir absolument.

Note :                 

15/20