Second long métrage après "Fragile" (2021) pour Emma Benestan qui a entre temps co-écrit "Chien de la Casse" (2023) de Jean-Baptiste Durand. Pour son projet la réalisatrice-scénariste est parti de ses souvenirs quand adolescente elle se rendait aux festivités carmarguaises, et se souvenant que c'était un univers très masculin : "Ma fascination pour les taureaux m'a inspiré deux documentaires, l'un sur un apprenti manadier, et l'autre sur la seule fille à être allée dans l'arène, Marie Segrétier, et qui a été une source d'inspiration pour le personnage de Nejma. Dans mon travail de documentaire avec Marie, je me suis beaucoup interrogée sur cette place qu'elle avait, et sur la violence machiste et sourde autour d'elle. A ce moment-là, je travaillais sur une série de genre, et je me repassais tous les épisodes de Buffy contre les Vampires , ma série-passion d'adolescence. Pour moi la Camargue est mythologique, elle est fantastique, en plus d'être liée à une partie de mon adolescence. C'est un territoire qui est très proche de moi et que j'avais envie de sonder." La cinéaste avoue aussi comme source d'inspiration le mythe du MInotaure et sur la ligne tangente entre monstre et victime. Précisons que la course camarguaise n'a rien à voir avec la corrida, les bêtes ne sont pas mises à mort, il n'y ni sang versé, les taureaux sont au contraire choyés et soignés afin qu'ils fassent carrière le plus longtemps possible...
Nejma s'entraîne dur pour réaliser son rêve et remporter la prochaine course camarguaise, un concours où on défie les taureaux dans l'arène. Mais alors que la saison bat son plein des disparitions suspectes viennent troubler la période de festivités. Très vite la rumeur se propage, une bête sauvage rôde... Nejma est incarnée par Oulaya Amamra, révélation du magnifique et tragique "Divines" (2016) de Houda Benyamina et vue depuis dans "Le Sel des Larmes" (2020) de Philippe Garrel, "Fumer fait Tousser" (2022) de Quentin Dupieux ou "Divertimento" (2023) de Marie-Castille Mention-Schaar. Elle est tête d'affiche et seule actrice professionnelle du film, elle est entourée de comédiens non-professionnels, tous vivant en Camargue et la plupart travaillant avec les taureaux. Citons d'abord Vivien Rodriguez seul ayant déjà une expérience devant la caméra avec "Tengo Suenos Electricos" (2023) de Valentin Maurel, puis citons sinon Damien Rebattel, Claude Chaballier, Marinette Rafaï ou Renaud Vinuesa... D'emblée on est séduit par le contexte géographique, car oui la Camargue est empreint de mythologie et de légende et pourtant ce coin de Provence reste très rare au cinéma. La liste est courte, citons "L'Arlésienne" (1930) de Jacques De Baroncelli, "Vendetta en Camargue" (1950) de Jean Devaivre, "Arènes Joyeuses" (1958) de Maurice De Canonges, "Chien de Pique" (1960) de Yves Allégret et enfin celui qui reste sans doute le plus célèbre "D'Où viens-tu Johnny ?" (1963) de Noël Howard. La réalisatrice connaît bien la Camargue, a signé d'ailleurs deux documentaires sur la zone et elle réussit parfaitement à placer la Camargue elle-même comme un personnage à part entière dans l'histoire, ses paysages évidemment mais aussi ses taureaux dont l'iconographie sert magnifiquement la dimension mystique de l'animal et vice versa. La mise en scène est judicieuse, alternant constamment entre son héroïne qui subit de plus en plus sa "malédiction" et les taureaux qui semblent tout savoir de son secret.
D'un point de vue purement thriller fantastique on pense évidemment à des films "Les Mauvaises Manières" (2018) de Marco Dutra et Juliana Rojas, "Teddy" (2021) des frères Boukherma ou plus récemment pourquoi pas "Le Règne Animal" (2023) de Thomas Cailley. Le canevas du genre est ainsi respecté, au départ rien ne permet de déceler un récit qui serait plus ou moins singulier et on pense donc à une malédiction et/ou une métamorphose déjà vue comme dans les films sus-cités. Mais la Camargue reste magnifiquement filmée, jouant avec malice sur les différentes lumières du ciel pour créer des plans sublimes qui allient plaisir des yeux et atmosphères mystérieuses, puis n'oublions pas les gardians qui sont authentiques et ça se voit et ça s'entend au milieu desquels Oulaya Amamra s'en sort haut la main au sein d'un milieu aussi viril que machiste. On peut cependant s'étonner que les femmes soient si invisibles (conjointes, amies ?!). L'évolution du récit est logique car attendue jusqu'à ce twist émotionnellement violent qui explique à la fois tout et rien... ATTENTION SPOILERS !... ok, la trauma à amener une sorte de malédiction vengeresse, mais comment et de quelle façon ?! Par exemple pas de légende ou de croyance qu vient appuyer une éventualité... FIN SPOILERS !... Ainsi la réalisatrice réussit un film sur la Camargue en créant un mythe de toute pièce avec en prime un message féministe fort et puissant même si la fin laisse légèrement perplexe (tant de témoins ?!). Emma Benestan signe un drame fantastique prenant et envoûtant qui reste très bien écrit, entre tradition et modernité. A voir et à conseiller.
Note :