Mort de Niels Arestrup

Un acteur fantastique nous a quitté, Niels Arestrup est mort ce 1er décembre 2024 à l'âge de 75 ans.

Né en 1949 à Montreuil-sous-Bois, Niels Arestrup est le fils unique d'un père danois et d'une mère bretonne originaire de Lorient. Le père a fui son pays suite à l'invasion allemande, et cherchant à embarquer pour les Etats-Unis au Havre il rencontre une secrétaire, future mère de l'acteur. Le père devient ouvrier dans une usine, la mère devient également ouvrière dans une autre usine. Alors que le jeune Niels a 10 ans, la famille déménage dans une cité HLM à Evry. Enfant unique et solitaire il fait l'école buissonnière jusqu'à son baccalauréat qu'il râte en 1968. 

Il enchaîne les petits boulots jusqu'à sa rencontre en 1973 avec une célèbre chanteuse soviétique Raïssa Vassilieva qui le pousse à devenir acteur. Il s'inscrit au cours de Tania Balachova et commence à apparaître sur les planches avec les pièces "La Famille" (1973) de Lodewijk de Boer au théâtre de Poche à Bruxelles ou "Crime et Châtiment" (1973) de Dostoïevski au Théâtre de l'Atelier à Paris. La chanteuse lui présente le réalisateur Samy Pavel qui lui propose le rôle principal dans "Miss O'Gynie et les Hommes Fleurs" (1974) où il vit une histoire d'amour homosexuelle.

Dans la foulée il apparaît dans un petit rôle dans "Stavisky" (1974) de Alain Resnais avec Jean-Paul Belmondo suivi de "Je, Tu, Il, Elle" (1974 - ci-dessous) de et avec Chantal Ackerman.

L'acteur multiplie les expériences, au théâtre comme à la télévision avec un premier téléfilm "Messieurs les Jurés" (1974), puis évidemment au cinéma où il favorise le cinéma d'auteur avec entre autre "Lumière" (1976) de et avec Jeanne Moreau, "Si c'était à refaire" (1976 - ci-dessous) de Claude Lelouch avec Catherine Deneuve et Anouk Aimée, il aborde même le film post-apocalyptique avec "Demain les Mômes" (1976) de Jean Pourtalé avec une toute jeune Emmanuelle Béart.

Il croise Dennis Hopper dans "Les Apprentis Sorciers" (1977) de Edgardo Cozarinsky, il rencontre les policiers Jean-Pierre Marielle et Jean Carmet dans "Plus ça va, Moins ça va" (1977) de Michel Vianey, il rencontre Klaus Kinski dans "La Chanson de Roland" (1978) de Frank Cassenti puis participe au film "La Dérobade" (1979) de et avec Daniel Duval sur lequel il y a des incidents violents impliquant l'acteur ; en effet l'actrice Maria Schneider se fracture le coccyx et la star Miou-Miou a le tympan percé suite à une gifle assénée trop vivement par l'acteur. Un tournage qui va lancé une réputation d'homme violent ou agressif concernant Niels Arestrup. L'acteur retrouve néanmoins Miou-Miou dans le polar "La Femme Flic" (1980 - ci-dessous) de Yves Boisset. 

FEMME FLIC (LA) – RueDuCine | Notations et Avis de Films

Assumant de front et en parallèle les planches, la télévision et le cinéma. Sa réputation prend encore de l'ampleur sur la pièce de théâtre "Mademoiselle Julie" (1983) de August Strindberg que la star Isabelle Adjani quitte avec fracas suite à une gifle assénée par l'acteur, Fanny Ardant remplacera la jeune actrice. L'acteur pensera à déposer plainte pour diffamation avant de se rétracter.

Sur grand écran il joue aux côtés de Hanna Schygulla et Ornella Muti dans "Le Futur est Femme" (1984) de Marco Ferreri, est l'ex de Isabelle Huppert dans "Signé Charlotte" (1985 - ci-dessous) de Caroline Huppert, aborde une nouvelle fois la SF dans "Diesel" (1985) de Robert Kramer avec Agnès Soral et Richard Bohringer, joue dans le film d'espionnage "Les Loups entre Eux" (1985) de José Giovanni avec Claude Brasseur et Jean-Hugues Anglade puis joue un flic dans "La Rumba" (1987) de et avec Roger Hanin.

Il entre ensuite dans une période un peu moins prolifique en tournage, que ce soit sur les planches, ou les écrans, mais pas moins riche et intéressante artistiquement puisqu'il crée en 1988 sa propre école de théâtre, le Théâtre-Ecole du Passage à Ménilmontant. Une école de formation d'acteur qui évite le vedettariat et qui devient pour une dizaine d'années l'un des meilleurs cours privés de l'époque où les élèves étudient l'art dramatique, la danse, le chant, l'acrobatie, l'escrime et l'anglais. Au même moment, Niels Arestrup dirige le Théâtre de la Renaissance entre 1989 et 1993. 

Il se fait alors plus rare sur grand écran, il incarne un chef d'orchestre dans "La Tentation de Vénus" (1991 - ci-dessous) de Istvan Szabo avec Glenn Close, se retrouve au sien d'un fait divers sordide dans "Délit Mineur" (1994) de Francis Girod face à Caroline Cellier et Claude Brasseur, puis est à nouveau musicien dans "Le Pique-Nique de Lulu Kreutz" (1999) de Didier Martiny avec Philippe Noiret et Carole Bouquet.

Malheureusement Niels Arestrup doit faire face à une nouvelle polémique lors de la pièce "Qui a peur de Virginia Woolf ?" (1996) où il aurait été violent avec la comédienne Myriam Boyer, mais c'est elle qui est licenciée la société de production appartenant à 70% à Niels Arestrup. Cette fois le producteur-acteur est condamné à 800000 francs de dommages et intérêts.

Il joue dans la pièce "Copenhague" (1998-1999) qui remporte deux Molières, mais l'acteur ne remporte pas la statuette malgré sa nomination au Molière du meilleur comédien.

Il retrouve les plateaux de cinéma de façon plus régulière avec "Une Affaire Privée" (2002) de Guillaume Nicloux où il est le père de Marion Cotillard, puis est l'époux de Judith Godrèche dans "Parlez-Moi d'Amour" (2002) de Sophie Marceau, et surtout il est le père de Romain Duris dans "De battre mon Coeur s'est arrêté" (2005 - ci-dessous) de Jacques Audiard qui est un succès public et critique avec en prime pas moins de 8 Césars 2006 dont celui du meilleur acteur dans un second rôle pour Niels Arestrup.

De battre, mon cœur s'est arrêté - Le Grand Action

Il participe au drame des "gueules cassées" de la Grande Guerre "Les Fragments d'Antonin" (2006) de Gabriel Le Bomin dont c'est le premier long métrage, joue aux côtés de Mathieu Amalric dans "Le Scaphandre et le Papillon" (2007) de Julian Schnabel, se retrouve dans une des plus grandes affaires d'espionnage dans "L'Affaire Farewell" (2009) de Christian Carion avec Guillaume Canet et retrouve un succès prestigieux avec le chef d'oeuvre "Un Prophète" (2009 - ci-dessous) de Jacques Audiard qui lui offre une seconde fois une reconnaissance critique et publique le film récoltant 9 Césars dont une second César du meilleur second rôle pour Niels Arestrup.

Entre temps Niels Arestrup passe un cap en écrivant et réalisant le film "Le Candidat" (2007) jouant aussi face à Yvan Attal, puis écrit la pièce "Le Temps des Cerises" (2008) qu'il met en scène avec Eddy Mitchell et Cécile De France avant de signer son second film "L'Invitation" (2009).

Les succès des films avec Jacques Audiardlui offre une reconnaissance inédite, surtout auprès des générations les plus jeunes, et lui permet de choisir des films moins confidentiels avec des rôles étoffés pour le haut de l'affiche.

Ainsi il joue aux côtés de Kristin Scott Thomas dans le drame intime "Elle s'appelait Sarah" (2010) de Gilles Paquet-Brenner, retrouve Romain Duris pour "L'Homme qui voulait vivre sa Vie" (2010) de Eric Lartigau, retrouve Gérard Depardieu et Françoise Fabian dans "Je n'ai rien Oublié" (2010) de Bruno Chiche, est le père de Lorant Deustch dans "Tu seras mon Fils" (2011  - ci-dessous) de Gilles Legrand avant de participer au casting international de "Cheval de Guerre" (2011) de Steven Spielberg.

Il retrouve ensuite Tahar Rahim pour le drame psychologique "A Perdre la Raison" (2012) de Joachim Lafosse, est un homme politique aux côtés de Thierry Lhermite et Raphaël Personnaz dans "Quai d'Orsay" (2013) de Bertrand Tavernier pour lequel il est lauréat pour un 3ème César du meilleur second rôle, puis après le polar "96 Heures" (2014) de Frédéric Schoendoerffer avec Gérard Lanvin il retrouve son personnage de général allemand face à André Dussolier dans l'adaptation cinéma "Diplomatie" (2015 - ci-dessous) de Volker Schlöndorff après avoir joué la pièce au théâtre en 2011-2012.

Au théâtre notons aussi son rôle de Talleyrand face à Fouché alias Patrick Chesnais dans la pièce "Le Souper" (2015) qui avait été joué sur les planches puis adapté déjà au cinéma en 1990 avec respectivement Claude Rich et Claude Brasseur.

Il est le partenaire des stars hollywoodiennes Angelina Jolie et Brad Pitt dans l'oubliable "Vue sur Mer" (2015) de l'actrice elle-même, retrouve son réalisateur Volker Schlöndorff pour "Retour à Montauk" (2017), puis retrouve le contexte de 14-18 dans "Au Revoir Là-Haut" (2017 - ci-dessous) de et avec Albert Dupontel, avant de croiser le peintre Van Gogh incarné par Willem Dafoe dans "At Eternty's Gate" (2018) de Julian Schnabel.

Il joue dans la pièce "Rouge" (2019) de John Logan au théâtre Montparnasse qui lui permet de gagner le Molière du meilleur comédien, qui sera suivi du Prix du Brigadier 2021 pour ce même rôle et pour l'ensemble de sa carrière. Il joue sa dernière pièce avec "88 Fois l'Infini" (2021) de Isabelle Le Nouvel, son épouse et théâtre des Bouffes Parisiens.

A la télévision son dernier téléfilm est "Les Papillons Noirs" (2022) de Olivier Abbou, mais au cinéma il fait face à un Patrick Bruel vénéneux dans le thriller "Villa Caprice" (2020) de Bernard Stora avant de le voir une ultime fois dans le musical "Divertimento" (2022) de Marie-Castille Mention-Schaar avec la jeunesse de Oulaya Amamra et Lina El Arabi.

Villa Caprice

Niels Arestrup est en couple avec l'autrice Isabelle Le Nouvel (de 24 ans sa cadette) depuis le début des années 2000, ils se marient en 2012 année de naissance de leurs jumeaux Emma et Henrik.

Sa réputation de partenaire violent, exigeant, les polémiques avérées et les incidents ont sans doute participer à sa carrière en dents de scie, longtemps dans l'ombre de partenaires plus connus. Au cinéma il aura fallu les deux succès de Audiard pour qu'il soit reconnu à sa juste valeur (artistique !). A propos de sa réputation, l'acteur a déclaré : "Ca fait vingt-cinq ans que ça dure, depuis Mademoiselle Julie, avec Isabelle Adjani. Et depuis, j'ai tout essayé : m'expliquer, me taire, mais rien à faire, ça me colle à la peau.", en rajoutant "toujours détesté la brutalité, (qu'il) trouve désespérément bête."

Niels Arestrup reste un acteur immense, aussi viscéral que minimaliste. L'acteur meurt après une longue maladie (comme on dit) ce dimanche 1er décembre 2024 à l'âge de 75 ans.