Dans une scène, il y a de l'action, c'est-à-dire un événement. Nous ne sommes pas insensibles à cet événement et mes recherches m'ont amené jusqu'à Épicure et à son concept d' expérience subjective, à savoir la manière dont nous percevons (nous voyons et entendons) ce qu'il se passe dans la scène et ce qu'elle provoque en nous.
Qu'est-ce que l'identification ?
On entend souvent que l'on s'identifie aux personnages. Mais qu'est-ce que cela signifie ? Pour Épicure, toutes nos perceptions du monde extérieur (extérieur à nous, donc) se fondent sur nos sensations (d'autres penseurs ajoutent aussi l'instinct à cette sensibilité).
Cette action fictive issue de l'imaginaire d'un scénariste est comme le monde extérieur. Elle a un impact d'abord sur notre corps (à travers nos sens) et ensuite sur notre esprit et en particulier nos souvenirs. En effet, ce que nous percevons d'une action évoque en nous, plus ou moins confusément, quelques souvenirs d'une situation que nous avons vécue.
Commençons par le début. Nous avons une action particulièrement intense où notre héroïne se débat pour sa survie. La tension dramatique est à son comble lorsque par exemple notre personnage, Marie, scientifique de son état, analyse une faille au sommet d'une montagne et que des gaz toxiques s'en échappent. Le brouillard qui recouvre le paysage et englobe inexorablement la fuite éperdue de l'héroïne fait plus que nous suggérer une catastrophe ; au contraire, bien que la situation soit fictive et que nous nous sentions en sécurité, les sensations nous paraissent aussi exactes que celles que nous ressentirions dans une situation réelle.
Nous pouvons dire que les sensations fonde notre vécu immédiat quel que soit l'objet que nous percevons.
Maintenant, notre participation à ce qu'il se passe dans la scène. D'emblée, nous anticipons et nous interprétons aussi ; c'est pourquoi l'autrice et l'auteur aiment bien nous tromper par des indices qui sont autant de fausses pistes : nous dire par exemple qu'une taupe dans une organisation corrompue est une femme alors que cette information nous est donnée par un personnage qui s'est persuadé qu'il s'agissait d'une femme sur une fausse intuition. Mais cela nous ne le savons pas.
Mémoire et prolepse (c'est-à-dire l'anticipation, l'attente) interviennent dans le plaisir que nous prenons (du moins si le récit nous passionne, autrement nous sommes déçus). Quant à la mémoire, si l'action consiste à voir le héros s'acheminer hardiment vers le piège ( ironie dramatique : nous le savons, mais lui non), nos souvenirs (ce peut être d'autres films avec une action semblable ou parce que nous sommes pris dans les conventions du genre) nous font nous demander : que se passera-t-il s'il tombe la tête la première dans le piège ?
Et notre identification alors ? Suivons Épicure. Si nous imaginons une issue favorable à la situation décrite, nous éprouverons du plaisir et dans le cas contraire, une souffrance morale. C'est très proche de ce qu'il se passe dans nos vies : nous évaluons nos plaisirs et nos douleurs de manière subjective ; des émotions et des jugements, et pour Épicure, ce sont même des processus naturels.
Quelque chose d'importance que le scénariste doit respecter : l'alternance entre les scènes émotionnellement intenses et des moments de calme. Parce que c'est comme le désir : ce que nous désirons nous apporte une certaine jouissance tant que nous ne l'avons pas, mais lorsque nous obtenons ce que nous désirons, le désir et la passion s'éteignent.
Dans un récit, l'intensité de l'action est ce que nous désirons, mais si l'autrice et l'auteur n'apportent pas une compensation afin d'équilibrer entre l'intensité et le calme (les personnages font le point sur ce qu'il s'est passé par exemple), alors le récit perd en harmonie. Quatre-vingt-dix minutes de tension incessante est un exercice délicat.