Murina (2024) de Antoneta Alamat Kusijanovic

Premier long métrage de la cinéaste croate Antoneta Alamat Kusijanovic qui, pour ce projet, développe l'univers de son court métrage "Into the Blue" (2017), dont elle précise : "Je suis partie de cette dynamique, d'une image de la nature que j'avais depuis l’enfance, quand je venais sur cette île rendre visite à ma grand-mère. Et puis l'histoire s'est construite peu à peu. Il était important, pour moi, de raconter l'histoire de ces deux générations de femmes piégées dans le machisme et la violence, ce que beaucoup d’entre nous appellent la "mentalité croate". La réalisatrice-scénariste co-écrit son scénario avec Christina Lazaridi qui a écrit auparavant le film "Nobody's Watching" (2018) de Julia Solomonoff, et avec Frank Graziano qui a signé le court-métrage "Sting" (2020). Notons que l'un des producteurs est un nom très connu, qui n'est autre qu'un certain Martin Scorcese. Le film est présenté au Festival de Cannes 2021 dans la section Quinzaine des Réalisateurs où la réalisatrice remporte la Caméra d'Or, malgré ce prix prestigieux le film connaît un succès limité voir confidentiel où les trois quarts des entrées Monde seront faîte en France et ses 20000 entrées, preuve encore de la cinéphilie unique de notre pays... 

Sur une île croate isolée vit Julija, une adolescente épris de liberté et passionnée de plongée souffre de l'autorité excessive de son père que subit également sa mère soumise. Le père est encore pire qu'à son habitude car arrive un invité de marque qui pourrait permettre au père de faire affaire. Le père stressé exacerbe les tensions surtout que l'invité ne laisse pas indifférent la mère comme la fille... L'adolescente de 17 ans est incarnée par Gracija Filipovic, une inconnue repérée par la cinéaste alors qu'elle n'avait que 9 ans, nageuse déjà expérimentée et polyglotte qu'elle avait donc déjà fait tourné dans "Into the Blue" (2017) dont elle reprend logiquement le rôle. Ses parents sont joués par Danica Curcic apparue entre autre dans "Les Enquêtes du Departement V : Profanation" (2014) de Mikkel Norgaard, "Out Stealing Horses" (2019) de Hans Petter Moland ou "Et le Ciel s'assombrit" (2021) de Ole Bornedal, puis Leon Lucev acteur fétiche de Jasmila Zbanic avec les films "Sarajevo, mon Amour" (2006), "Le Choix de Luna" (2010), "Les Femmes de Visegrad" (2013) et "L'Eté sera Chaud" (2014). L'invité est interprété par un acteur plus connu internationalement remarqué dans "La Leçon de Piano" (1993) de Jane Campion, confirmé notamment dans "L'Âme des Guerriers" (1994) de Lee Tamahori, "Sunshine" (2007) de Danny Boyle et "Doctor Sleep" (2019) de Mike Flanagan et dont le dernier film est "Avatar : la Voie de l'Eau" (2022) de James Cameron... Le film débute au sien d'une famille où on sent la tension, au point même qu'on ne perçoit aucune tendresse pour ne pas dire aucun amour entre le père et la fille, alors qu'on sent l'attachement conjugal et une vraie complicité mère-fille. Mais surtout on est presque surpris par l'érotisation de l'adolescente/Filipovic, surtout parce qu'elle est filmée par une réalisatrice qui semble insister donc sur les charmes de la jeune femme qui reste en maillot de bain quasi tout le film. L'érotisation de la jeune femme est appuyée surtout au début puis s'estompe au fur et à mesure qu'elle s'émancipe, c'est là la belle idée du film. La réalisatrice semble par là dénoncer le regard premier et primaire des hommes avant qu'elle-même s'en détache.

A contrario, le dossier de presse comme la plupart des résumé du film parle d'un père "juste" autoritaire, mais à ce point c'est une ligne jaune franchit parfois et il reste juste un très gros con pour parler franchement, et ça empêche toute empathie ou compréhension de notre part ; même à la fin où on pense à un mea culpa ou à un moment émotion il s'engonce dans sa bêtise machiste et rustre. Résultat, avec un tel père on soutient évidemment Julija/Filipovic qui s'éveille (dans tous les sens du terme) et tente de réveiller sa mère qui semble s'être endormie au fil des années. L'autre belle idée du film est le travail sur les décors, créant un parallèle entre les éléments et les sentiments de Julija. Ainsi, pour le plus évident, l'île est quasiment sans verdure ni plantation, la terre est presque aride symbolisant la relation sèche entre père et fille, puis de façon plus en filigrane il y a le rapport à l'eau. En effet, si elle est passionnée de plongée quand elle plonge avec son père il y a un fond marin abrupte et dangereux, quand elle est avec quelqu'un d'autre le fond marin s'avère plus idyllique voir même un passage vers la liberté et l'émancipation avec le magnifique plan final. On peut se dire qu'au niveau des émotions le film aurait pu être plus émouvant et/ou plus perturbant, d'abord avec un père moins infect et/ou une mère légèrement moins soumise. Néanmoins,  Antoneta Alamat Kusijanovic signe un premier film qui ne manque ni d'à propos ni de grâce avec en prime la révélation marquante de Gracija Filipovic...

Note :                 

Murina (2024) Antoneta Alamat KusijanovicMurina (2024) Antoneta Alamat Kusijanovic

14/20