Conte Nuptial (2024) de Claire Bonnefoy

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Premier long métrage de Claire Bonnefoy jusqu'ici connu dans le milieu du cinéma comme productrice notamment de "La Mort de Louis XIV" (2016) de Albert Serra et "Vincent doit Mourir" (2022) de Stephane Castang. Elle décide d'adapter une oeuvre très méconnue, "La Grande Entourloupe" (1974) de Roald Dahl qui fut publié dans le magazine Playboy, ce qui surprend pour un auteur essentiellement connu pour ses oeuvres destinées aux enfants dont le fameux "Charlie et la Chocolaterie" (1964). C'est d'ailleurs en cela que la productrice-réalisatrice-scénariste a été choqué par le sujet de cette nouvelle qu'elle a découvert grâce à Dominique Baumard, son co-scénariste derrière par exemple "La Troisième Guerre" (2019) de Giovanni Aloi ou "Les Méchants" (2022) co-réalisé avec Mouloud Achour. En effet, Claire Bonnefoy explique ainsi que la nouvelle raconte "un double viol conjugal, prémédité et organisé "entre potes", tout cela sous le sceau de l'humour et de l'échangisme." Vu notre époque et l'actualité brûlante le sujet est dans l'air du temps, malheureusement, renvoyant entre autre à la terrible affaire Pellicot. Les deux scénaristes ont collaboré avec les deux actrices qui ont participé ectivement à l'écriture de leurs personnages. La cinéaste cite trois références, Woody Allen (dernier film "Coup de Chance" en 2023), Eric Rohmer et le sud-coréen Hong Sang-Soo... 

Sami et Micka, deux très bons amis, décident secrètement d'échanger leur compagne le temps d'une nuit en s'inspirant d'un livre qu'ils ont lu. Ils imaginent un stratagème pour y parvenir. Mais Melissa et Agathe, leurs conjointes, découvrent le plan et décident de contra-attaquer... Les deux amis sont incarnés par Hugo Dillon apparu dans "Les Frères Sisters" (2018) de Jacques Audiard, "Les Cinq Diables" (2022) de Léa Mysius ou "Novembre" (2022) de Cédric Jimenez, puis Raphaël Quenard dans une année particulièrement prolifique avec coup sur coup "Les Trois Fantastiques" (2024) de Michaël Dichter, "Le Deuxième Acte" (2024) de Quentin Dupieux, "Pourquoi tu Souris ?" (2024) de Chad Chenouga et Christine Paillard, "L'Amour Ouf" (2024) de Gilles Lellouche et "Leurs Enfants après Eux" (2024) de Ludovic et Zoran Boukherma, et retrouve aussi après "Vaurien" (2020) de Peter Dourountsiz sa partenaire Inas Chanti vue dans "Playlist" (2021) de Nine Antico, "L'Horizon" (2022) de Emilie Carpentier, "Elle & Lui et le Reste du Monde" (2024) de Emmanuelle Belohradsky, et enfin n'oublions pas Flore Babled aperçue dans "Les Invités de mon Père" (2010) de et avec Anne Le Ny ou "Cézanne et Moi" (2016) de Danièle Thompson... Si la nouvelle originelle de Roald Dahl était une sorte de fable érotique fantaisiste pour adulte dans le contexte de la parenthèse enchantée des années 70, l'évolution des moeurs et l'actualité récente permettent à la cinéaste de transposer l'oeuvre à la modernisant, en la recontextualisant à notre époque où la question du consentement est désormais aussi primordiale qu'essentielle. Le film débute dans le vif du sujet, les deux amis étant d'ores et déjà dans l'idée qu'il faut préparer leur plan. Le premier bon point reste le panel des quatre protagonistes, deux coupes différents, quatre individualités différentes qui donnent plusieurs points de vue vis à vis de leur sexualité, vis à vis de leur rapport à la sexualité, et aussi vis à vis du lien plus ou moins affectif qui les lient les uns aux autres. Ainsi, pour faire court, un couple est déjà plus ou moins libre, l'autre est plus "classique", mais les deux ont leur failles intimes qui sont souvent justement laissées dans le secret de la chambre conjugale.

Ensuite il y aussi le caractère tout simple et primaire des uns et des autres, notamment la notion de leader et de suiveur, et si il est question de consentement il est intéressant de voir aussi la notion d'influence (-ceur ou -çable). Le scénario est malin, plein d'acuité, qui explore toutes les facettes de ces personnes qui ont des demandes ou des fantasmes que, souvent, ils n'osent formuler ouvrant la porte aux malentendus et aux interprétations. Niveau mise en scène, l'utilisation du quatrième mur (personnage qui s'adresse directement aux spectateurs) est judicieuse et prend ainsi à témoin des spectateurs et d'imposer la réflexion directement. Mais la vraie gageure aussi est de ne pas dénoncer bêtement et violemment l'action des hommes, les nuances (question autour du fantasme et différence avec le passage à l'acte) sont assumées et assurées notamment dans ce dénouement autour de l'arroseur arrosé (pour qui et comment ?!) et ce point crucial du destin où ce qu'on appelle l'ironie du sort. Certe il y a bien une pincée de surréalisme (comment croire ne pas reconaître le corps de son ou sa partenaire ?!) ou bien est-ce plus facile de se persuader que c'est impossible ?! Résultat, on pourrait peut-être chipoter sur un peu plus de ci ou de ça (humour ?! Emotion ?!) mais le fait est que Claire Bonnefoy signe un film passionnant et diablement bien écrit avec quatre acteurs au diapason dont une mention spéciale pour Flore Babled. Un bon moment.

Note :                 

14/20