Réalisateur franco-marocain de quelques très beaux films comme "Ali Zaoua Prince de la Rue" (2000), "Les Chevaux de Dieu" (2012) ou "Much Loved" (2015) Nabil Ayouch aborde de front le sujet des Cheikhates, déjà très présentes dans sa filmographie mais avec ce film il leur rend directement hommage. Les Cheikhates sont des femmes qui chantent l'Aïta, genre musical traditionnel marocain normalement porté par les hommes. Bravant l'interdiction des femmes ont osé se l'approprier malgré les risques jusqu'à devenir populaires, mais malheureusement ces femmes sont depuis les années 60/70 perçues de plus en plus comme des femmes de mauvaises vie. Avec ce film le cinéaste avoue vouloir les réhabiliter. Pour son histoire le réalisateur-scénariste collabore à nouveau avec son épouse, Maryam Touzani, réalisatrice de "Adam" (2019) et "Le Bleu du Caftan" (2022), chacun chacune co-signant les scénarios de l'autre depuis "Much Loved" (2015)...
Touda se produit tous les soirs dans les bars de sa petite ville de province et chante sans pudeur ni censure les textes d'amour et d'émancipation transmis depuis des générations. Mais sa position est difficile, souvent maltraitée et humiliée elle rêve de tout quitter pour Casablanca et tenter de devenir une Cheikha populaire et ainsi changer de vie... Touda est incarnée par Nisrin Erradi, actrice célèbre au Maroc vue notamment dans "Les Ailes de l'Amour" (2011) de Abdelhai Larakil, "Prendre le Large" (2017) de Gael Morel, elle retrouve aussi le couple de réalisateurs-scénaristes après "Adam" (2019) puis, retrouve après "Les Femmes du Pavillon J" (2019) de Mohamed Nadif et "Poissons Rouges" (2022) de de Abdeslam Kerai son partenaire Jalila Tiemsi vue ensuite dans "Reines" (2023) de Yasmine Benkiran et "Raqa" (2024) de Gerardo Herrero. Citons ensuite Lahcen Razzougui apparu dans "Le 7ème Juré" (2008) de Edouard Niermans, "Frères" (2010) de Virginie Sauveur ou "Cheba Louisa" (2012) de Françoise Charpiat, Abdellatif Chaouki aperçu dans "Close" (2019) de Vicky Jewson, "Le Médecin Imaginaire" (2022) de Mohamed Haimidi ou "Triple A" (2023) de Jihane Bahar, puis citons Joud Chamihy et El Moustafa Boutankite dansleur premier rôle au cinéma... Une fois de plus le cinéaste (et sa femme) nous offre une facette du Maroc via ces femmes artistes qui doivent toujours et encore lutter pour exister en tant que femme, mais aussi et surtout en tant qu'artiste à part entière. En effet, ce qui frappe et choque dans ce coin du monde (parmi tant d'autres malheureusement) c'est à quel point chanteuse est synonyme de prostituée pour un homme. La nuance ne semble jamais effleurer les hommes qui renvoient alors à tant d'horreurs misogynes. Le film s'ouvre d'ailleurs avec un prologue qui montre bien cette double facette, passant ainsi de la joie, de la musique, du chant et de la danse à un drame violent des plus effroyables. L'ouverture annonce les choses, les hommes sont dégueulasses, les femmes sont seules et pour vivre son rêve il faut plus ou moins accepter de subir. Le film dure 1h30, et est scindé en deux parties avec une sorte de parenthèse idyllique. Ce chapitrage est attendu vu le speech mais la construction narrative et le montage est plus décevant.
La première partie se focalise sur le quotidien de Touda dans sa province, passant de ses spectacles à l'intimité avec son fils. Cette partie est nécessaire pour comprendre sa vie, mais c'est trop long, redondant alors qu'on attend justement son évolution et comment elle va s'en sortir à Casablanca. Une partie qui démontre aussi que Touda est seule, et ce même quand d'autres femmes comme elle sont présentes, on a l'impression que quoi qu'il arrive c'est chacun pour soi. La parenthèse enchantée rappelle que rien ne vaut la famille, l'innocence et l'importance des petits riens. Quand arrive Casablanca, c'est à la fois long et trop court, trop de passages tirés en longueur, et en même temps il y a 2-3 passages trop incohérents et/ou incompréhensibles... ATTENTION SPOILERS !... le directeur de l'école qu ne prendrait pas deux secondes pour répondre à une question aussi simple, de surcroît dans le cadre d'un rendez-vous effectif ?! Pourquoi Touda gâcherait le seul boulot poutr un simple choix de chanson alors que c'est le seul boulot où tout allait bien et où elle n'avait pas déjà été agressé pour une chanson ?!... FIN SPOILERS !... Mais on souffre pour Touda, on perçoit bien sa douleur de ne jamais pouvoir être prise au sérieux comme artiste à part entière, et même quand elle y croit enfin, en faisant confiance au seul homme qui semble désintéressé, elle doit affronter la croisée des chemins dans une scène finale d'un magnifique plan-séquence de huit minutes, qui se termine lui-même par un plan final de toute beauté. Pourtant, cette conclusion frustre et laisse sur notre faim car le pessimisme qui en découle nous attriste pour Touda. On sent que le réalisateur a voulu esquisser un espoir mais il reste formel et donc illusoire, sur le fond on sait que l'avenir de Touda n'est qu'espérance. Nabil Ayouch signe un nouveau portrait de femmes d'une belle justesse, qui ne manque ni de grâce ni d'acuité, juste dommage qu'on termine le film avec la sensation qu'il était trop long, ou plutôt que certaines longueurs étaient mal placées. En prime une nouvelle performance éblouissante de Nisrin Erradi.
Note :