Robert mckee : le choix

Pour Robert McKee, tout est lié au conflit et aux choix qu'il impose aux personnages. Le conflit représente l'affrontement de forces opposées. Celles-ci peuvent être externes, alors le personnage est en difficulté face à un antagoniste par exemple, mais une situation de crise quelconque fera tout aussi bien l'affaire, et bien-sûr un environnement hostile est une situation conflictuelle par nature. Parce qu'il est extérieur, le conflit provoque une réaction chez le personnage et celle-ci donne son élan à l'intrigue. Avouons que si notre héros fuyait devant chaque difficulté, il n'y aurait pas grand-chose à raconter.
D'un autre côté, le conflit est interne, c'est-à-dire dans l'esprit du personnage. Ce sont ses peurs, ses désirs et ses dilemmes. Ici, l'adversaire n'est pas une force extérieure, mais les propres contradictions du personnage. Dans Macbeth de Shakespeare, le héros est déchiré entre sa folle ambition de devenir roi et sa culpabilité face aux crimes qu'il doit commettre pour y parvenir (d'autant plus que Lady Macbeth agit encore plus sournoisement qu'Eve lorsque celle-ci, dans sa naïveté, tentait de convaincre Adam de mordre dans la pomme).

Le conflit intime donne une profondeur psychologique au personnage et cela nous facilite l'écriture de son arc, qu'il réussisse ou échoue dans son entreprise (et cela dépend de votre humeur du moment). Qu'il soit interne ou externe, le conflit est la clé qui ferre le lecteur/spectateur dans tout récit, affirme Robert McKee. Et pourquoi ? Parce qu'il force les personnages à prendre des décisions majeures qui révèlent leur véritable nature qu'ils ignorent encore quand nous faisons leur connaissance.
Macadam Cowboy (1969) de John Schlesinger me semble bien pour illustrer le propos précédent. Joe Buck est un jeune homme naïf du Texas qui part pour New York avec l'ambition de devenir un gigolo et de vivre une vie luxueuse. Rapidement, il se heurte à la réalité : la ville, présentée comme un environnement hostile, le rejette, et ses tentatives pour réussir échouent misérablement. L'adversité prend la forme de personnages manipulateurs et d'un système urbain qui le broie. Par exemple, lorsqu'il est arnaqué par un client potentiel ou lorsqu'il doit mendier pour survivre, ces confrontations hors de lui exposent l'écart entre son idéal et la réalité.

En parallèle, Joe se débat contre un passé traumatique et une profonde solitude. Il lutte avec des souvenirs d'abus et de rejet, qui parasitent son désir de réinventer sa vie. Ces blessures influencent ses décisions et ses relations, notamment avec Ratso, un vagabond malade et manipulateur. Alors que Joe cherche à s'affirmer comme quelqu'un de fort et de charmant, ses doutes sur lui-même et son besoin désespéré d'autrui révèlent une personnalité fragilisée.
D'abord motivé par l'égoïsme et une quête quasi matérialiste, il évolue vers une relation d'amitié véritable avec Ratso, ce qui le conduit à des sacrifices pour prendre soin de son compagnon mourant. Ce basculement montre comment Joe transcende ses blessures intérieures et sa vision du monde. L'accomplissement de Joe est d'abandonner son vain rêve et d'accompagner Ratso vers une mort digne. Une humanité qu'il ignorait en lui-même se révèle alors. C'est bien par ses choix, comme le suggère McKee, qu'un personnage rencontre sa véritable nature.

Des décisions sous pression

Il existe donc une force antagoniste. Celle-ci prend la forme d'une personne, parfois seulement anthropologique, d'un événement qui frappe le personnage ou bien, intérieurement, ce même personnage a une vraie préoccupation qu'il doit d'abord régler s'il espère l'emporter sur le conflit extérieur.

Anatomie d'une chute (2023) de Justine Triet, entre vie publique et privée, insiste sur les dilemmes moraux de Sandra. Comment les priorités et les valeurs de Sandra qui expliquent son comportement, notamment pour sa défense, mais aussi dans sa volonté de protéger Daniel, se manifestent-ils ?
Mais par les choix qu'elle fait, bien évidemment. Un choix dans un contexte conflictuel révèle ce que le personnage considère comme essentiel. D'abord, comme sa survie sociale et personnelle est en jeu, Sandra adopte un comportement qui semble décider de se protéger elle-même ; ce qui nous renvoie l'impression d'un être égoïste afin que nous commencions par douter de son innocence. Mais alors une dialectique se met en place : nous comprenons que la stratégie de Sandra vis-à-vis de son défunt mari porte essentiellement sur la préservation de Daniel, être fragile par sa nature même.

Si elle devait être condamnée, ce serait terrible pour eux deux. L'aspect contradictoire est typique des drames psychologiques. Sandra ne peut faire autrement que de confronter ses valeurs à sa réalité. Doit-elle dire toute la vérité, y compris les aspects les plus sombres de sa relation avec son mari, au risque d'exposer son fils à des révélations traumatisantes ? Pour les choix de sa défense, elle présente d'elle-même une image qui n'est pas elle, ce qui contrarie son désir de transparence.
Mais elle le fait pour une cause plus grande qu'elle. D'un côté, cette transparence qu'elle valorise risque cependant de compromettre et sa liberté et le bien-être de son fils. En voilant certains moments, elle se préserve, mais cela ruine une partie des principes qui, pourtant, la déterminent. Regardez comme les croyances peuvent diverger des actions alors que celles-ci s'avèrent nécessaires.

Les failles

Nier nos faiblesses est vain. Un conflit est aussitôt plus intéressant lorsque le personnage est obligé de choisir entre ce qu'il juge être ses besoins et la réalité qu'il confronte. La peur, l'égoïsme, l'hésitation surgissent dans les moments de crise ; paradoxalement, ces failles qui consument le personnage le construisent. Prenez Sans filtre (2022) de Ruben Östlund, bien que ce récit soit une satire, il éclaire les faiblesses et les dilemmes éthiques majeurs des personnages. Un tel récit montre combien la nature humaine peut être contradictoire dans son essence même. L'arc d'un personnage consiste donc soit à croître s'il dépasse ses faiblesses et que ses actions s'alignent avec ses valeurs ou bien succombe en se trahissant lui-même. Nous ne ferions pas mieux.