Créer un personnage à l'image et à la ressemblance de Norman Bates (Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock).
Norman Bates est le produit de traumatismes passés, en particulier sa relation fusionnelle et destructrice avec sa mère. Pour construire un tel personnage, nous avons besoin d'un traumatisme qui fonde cette psychologie. Norman est un personnage ambigu, c'est dans sa nature. Nous jouerons sur cette ambiguïté afin d'éviter que le lecteur/spectateur n'acquière trop tôt de certitudes à son sujet.
Le mystère chez Norman se tient dans sa dualité. Créons notre personnage sous un double aspect : à la fois innocent et coupable, empli d'amour par moments et prompt à la violence à d'autres, tantôt rationnel et tantôt accablé par la folie. Cette double identité se manifeste par des comportements contradictoires. Ce qui ne laissera pas le lecteur/spectateur de s'interroger, voire de s'inquiéter sur ce personnage.
Cela nous aidera aussi à placer ici et là quelques indices avant que ne soit révélée sa vérité. Ainsi, nous trouverons plus facile d'écrire des scènes dans lesquelles les zones d'ombre de la personnalité de notre personnage s'opposeront à ses traits plus lumineux. Ce travail est aussi favorisé par l'environnement qu'habite le personnage : jouons avec l'influence du milieu sur son état mental. Faisons comme Hitchcock (rassurons-nous d'emblée : ce n'est pas du plagiat) et servons-nous alors des lieux pour décrire la psyché de notre personnage. Quel récit personnel du personnage son environnement nous raconte ?
En nous comme chez nos personnages, il existe du mystère. Gardons certaines choses secrètes. Ou mieux, montrons comment le monde perçoit notre personnage et opposons son point de vue sur cette même réalité. Nous sommes des êtres qui ont besoin de l'autre pour exister, d'ailleurs cet autre nous permet de nous mieux comprendre nous-mêmes. Un personnage comme Norman Bates qui perpétue des actes horribles n'en est pas moins digne d'une compassion, d'une attention que nous pouvons lui porter. Cela devient possible si nous reconnaissons en lui nos propres failles : un besoin d'amour, une peur de l'abandon ou encore une difficile reconnaissance.
Pensons à des scènes dans lesquelles notre personnage fait des efforts sincères pour se justifier et même pour tenter d'échapper à son état, pour reprendre la main sur un sort qui semble déjà écrit. C'est dans de tels moments qu'il se montre le plus vulnérable et que le lecteur/spectateur peut s'en rapprocher.
Nous sommes donc des êtres relationnels. Nous ne pouvons vivre sans qu'il y ait au moins un autrui. Dans le cas de Norman, cet autre décisif est sa mère. Pour notre personnage, nous devons trouver la relation qui l'influence le plus, faire évoluer cette relation et l'intégrer au mouvement de l'intrigue. Tout s'écoule : le personnage, l'autre qui pèse autant sur son devenir et leur relation même qui ne peut être figée alors que les personnages et l'intrigue ne cessent de devenir eux-mêmes autres.
Créer un personnage à l'image et à la ressemblance de Travis Bickle dans Taxi Driver (1976) de Martin Scorcese
Écrivons donc un journal intime. Sa perception biaisée du monde nourrit son ressentiment et justifie ses actions. Pourtant, Travis a besoin des autres et ne comble pas ce besoin à cause de ses propres faiblesses. De même, notre personnage est en lutte avec lui-même et ses efforts pour s'intégrer seront entravés par la mémoire qu'il a de ses souvenirs. Des réminiscences dont nous laisserons des indices au cours de l'intrigue, mais tantôt véritables et constitutifs de la personnalité de notre personnage, tantôt trompeurs pour maintenir une incertitude sur qui il est vraiment.
Ce qui est manifeste chez un tel personnage, c'est son isolement. Nous insisterons sur cette solitude qui n'a nulle nécessité à être physique. Même très entouré, nous devrions parvenir à illustrer sa solitude morale. Gardons à l'esprit que nous redescendons toujours vers les hommes : alors, notre personnage, qui voit le monde d'une manière si singulière, cherchera à s'élever et à appliquer des actions lustrales sur cet environnement qu'il juge hostile et corrompu.
Quand on sculpte un être de fiction, on lui donne un désir clair et distinct. Aussi complexe qu'il puisse être par ailleurs, ce désir, ce but qu'il se fixe, est ce qui le rend intelligible au lecteur/spectateur. Puisque les actions de notre personnage portent en elles une horreur à laquelle notre lecteur/spectateur ne saurait rester indifférent, plutôt que de ne soulever chez lui qu'une répulsion qui ne peut que nuire à notre intention d'autrice et d'auteur, travaillons sur la volonté du personnage afin qu'on puisse comprendre ses motivations ; mais, bien-sûr, les méthodes employées par notre personnage pour accomplir sa volonté ne rencontreront probablement pas une approbation.
Ce qui est intéressant aussi avec l'obsession (puisque le personnage s'arc-boute sur son désir), c'est qu'elle le brise et le déchire.
L'environnement n'est jamais en reste quand on élabore un personnage. Ici, nous avons un point de vue subjectif sur le monde. Ce qu'il s'y passe reflétera alors le ressenti du personnage dans les situations dans lesquelles nous le jetterons. Les scènes souligneront ce qui perturbe ou obsède notre personnage.
Et si nous reprenons à notre compte le besoin de rédemption et la rage destructrice de Travis, nous pourrons écrire des scènes dans lesquelles la fragilité de notre personnage (son manque d'amour par exemple) s'exprime en une frustration violente et destructrice. Tout comme nous, un être de fiction est plein de contradictions : il tente de faire le bien et il en résulte le mal. Et, malgré tout, il est en adéquation avec lui-même.