A l’image et a la ressemblance – 2

Par William Potillion @scenarmag

Shining (1980) de Stanley Kubrick, c'est déjà penser une histoire personnelle assez compliquée. Jack est alcoolique, il accumule les échecs et ses relations avec son fils et sa femme sont plutôt tendues. Le personnage que nous souhaitons inventer aura non seulement un trouble passé, mais nous insisterons non pas sur des réminiscences qui tenteront vainement de nous expliquer notre personnage ; ce que nous ferons de manière bien plus bénéfique sera d'insister sur sa fragilité psychologique.

Nous montrerons donc par des gestes et des comportements comme une réaction disproportionnée face à un événement anodin que notre personnage a une personnalité quelque peu étrange. Les silences et les non-dits sont très souvent plus parlants qu'une logorrhée (bien que celle-ci traduise aussi un malaise).
Ses hésitations seront pareillement des indices révélateurs de sa psyché. N'éludons pas le passé pour autant, car les postures et attitudes actuelles sont essentiellement déterminées par celui-ci. Sans nécessairement passer par des analepses, l'acte Un, celui de l'exposition, peut contenir quelques scènes d'un échec récurrent ou d'humiliations. Que sais-je ? Si notre personnage est un psychopathe qui n'est pas vraiment responsable de ses actes, nous pouvons réserver quelques scènes dans lesquelles nous le voyons se flageller ou se mutiler lui-même.

Un double aspect

Il nous faut créer une tension : un désir de rédemption et des pulsions destructrices. Notre personnage tout entier sera ainsi construit. C'est de cette tension que nous assurerons sa cohérence. Nous nous servirons du cadre pour amplifier les tourments du personnage. Il pourrait revenir sur les lieux de ses traumatismes, un retour qui le force à revivre ces douloureux moments, mais en déformant les souvenirs qu'il en a.
Et il en tire des promesses illusoires alors que cet espace de son passé ne l'a pas oublié. Car ce lieu n'est pas une ouverture : il y est piégé comme dans son propre esprit. Certes, notre lecteur/spectateur n'est pas réellement dans les souliers de notre personnage ; néanmoins, nous devons essayer non pas de le convaincre puisque nous écrivons une fable, plutôt de jouer sur sa compassion afin qu'il imagine, à défaut de ressentir, le sentiment d'impuissance de notre personnage face à son passé. Ainsi, nous maintenons l'ambiguïté : ce que nous percevons, est-ce la réalité ou bien est-ce une illusion du personnage qui devient de la sorte ce qu'on nomme communément un narrateur non fiable ?

Il est tentant de rendre négatif l'arc dramatique d'un tel personnage. Sa descente aux Enfers est inévitable et progressive. Elle se fera en trois ou quatre étapes que nous planifierons en moments de sa propre autodestruction.

Un personnage comme Jack Torrance est terrifiant précisément parce qu'il conserve une part d'humanité qui éclaire sa monstruosité. Pour réussir cette harmonie, il est essentiel de montrer que ses intentions initiales sont sincères, voire louables, mais qu'elles sont minées par ses manques et par les pressions qui ne cessent d'appuyer sur eux. Ce contraste entre ce qu'il pourrait être et qu'il aspire à deveniret ce qu'il devient rend sa chute d'autant plus tragique.

Nous faisons tous des erreurs. Comme Jack, comme nous, notre personnage ne distingue pas ou plus entre l'illusion et les faits. Créons des circonstances dans lesquelles il est poussé dans ses derniers retranchements, au point où ce qu'il y a de plus sombre en lui se manifeste. Notre personnage n'est pas déjà un monstre ; c'est très simplement, trop simplement, une part de lui-même qu'il ne parvient plus à maîtriser. La violence manifeste ne peut être manichéenne ; alors explicitons-la.

Folie, ambiguïté, récit non linéaire dans lequel la mémoire du passé se confond avec l'attention présente, tout cela sied bien à un tel personnage. On peut lui poser un antagoniste, mais il sera plus dramatique qu'il soit lui-même son propre ennemi. Certes, les occasions de le perdre proviendront de l'extérieur, d'un personnage qui semble paraître comme le méchant ; ce sera juste pour ne pas trop emmener le lecteur/spectateur dans des réflexions trop denses le long d'un cheminement dans lequel il s'embourberait dans des considérations qu'il doit plutôt se réserver pour après le récit.

Ses relations

Les relations qu'entretient notre personnage doivent non seulement nous rappeler les tourments qui le dévorent, mais aussi aider à sa chute.

Une relation amoureuse nous exposera les tensions entre le désir de rédemption du personnage et ses pulsions destructrices. Cette relation pourrait être teintée d'une véritable tendresse, du moins au début, mais aussi d'une détérioration progressive par ses hésitations, ses silences et ses réactions disproportionnées. Son partenaire, malgré des efforts sincères pour le comprendre ou l'aider, provoquera involontairement ses comportements autodestructeurs, que ce soit par une remarque anodine ou un malentendu qui exacerbe sa fragilité psychologique. Cette dialectique renforce l'idée que, malgré son humanité, notre personnage sera incapable de s'épanouir dans une relation saine.

L'idée est de rendre concrète l'ambiguïté du personnage ( Show, don't tell) : ses interactions ne doivent pas uniquement illustrer sa folie naissante, mais aussi montrer qu'il reste profondément humain, qu'il aspire à des liens authentiques qu'il détruit malgré lui. Qu'elles soient d'attentes impossibles à satisfaire, qu'elle se fonde sur une incompréhension ou encore plus dramatique, qu'elle soit de confrontations, c'est de sa frustration que nous sculpterons la psyché de notre personnage. Le doute et l'incertitude seront aussi des notions à envisager.