Une biographie ? vraiment ?

Par William Potillion @scenarmag

Un personnage a une fonction dans le récit. Il possède aussi une mémoire, une personnalité, a des projets, des espoirs, a connu des déceptions, voire des traumatismes, et même, il aurait pu ne pas exister. Tout cela se résume en une biographie.
Très utile seulement si nous n'y passons pas trop de temps, c'est-à-dire si nous ne la détaillons excessivement. Dans le cas contraire, nous aurons déjà nui à la narration sans même l'avoir commencée. Craignons les détails insignifiants : qu'est-ce que cela peut nous apporter que notre personnage aime les œufs aux plats ? À moins que cet appétit particulier n'ait lui-même une fonction dans l'intrigue.

Sinon l'essentiel à trouver est ce qui motive le personnage. Pourquoi agit-il ainsi ? Dans quel but ? Voilà ce que la biographie doit décider afin de favoriser l'évolution dramatique du récit.

Ne soyons pas trop rigides

Nous évoluons au fil de nos expériences et bien que notre vécu nous enferme en quelque sorte dans telle ou telle personnalité, nous avons toujours la possibilité de nous en échapper. Ainsi, l'être de fiction est condamné à devenir autre. D'abord, il est pris dans les rets de son passé, mais cette situation initiale bien ordinaire n'est pas sa véritable nature. Il lui faut aller à la rencontre de lui-même. Le risque d'une biographie bien trop détaillée est que nous interdisons à notre personnage d'évoluer, sans cesse, il répond à des comportements préétablis : une déception amoureuse et voilà notre personnage aveugle à toute nouvelle relation qui pourrait pourtant lui redonner une joie perdue.

Laissons les opportunités narratives se présenter à nous lors de l'écriture de l'intrigue. Explorons notre personnage en regard de nos thèmes. Sachons ce que nous voulons dire avant de lui écrire un passé, car le personnage incarne et confronte le message que nous tentons de faire passer. Once (2007) de John Carney illustre bien cette idée : un musicien de rue et une immigrante tchèque se rencontrent. La proximité entre ces deux êtres passe par la musique. Les thèmes convoqués dans ce récit sont ceux de la solitude, de la passion, de l'accomplissement personnel et les deux personnages s'y rapportent en réagissant mutuellement à l'autre sur le moment sans que des détails de leurs passés respectifs ne s'introduisent dans cette relation.

La situation conflictuelle

Le conflit emplit la fiction. Il est même un accès privilégié et direct à celle-ci. Ainsi, il est de bon aloi que la biographie insiste sur les blessures émotionnelles, les désirs et les peurs qui nourriront les dilemmes du personnage, parce que, s'il y a bien une dynamique qui crée du drame, c'est celle de la confrontation du personnage avec ses propres principes.

This Is Not a Love Story (2015) de Alfonso Gomez-Rejon est particulièrement pertinent à ce titre. Greg, plutôt introverti, renoue avec Rachel, une amie d'enfance. Or, Rachel est atteinte d'une leucémie. Cette relation singulière pousse Greg à confronter ses propres peurs et insécurités. Je l'ai dit, il est un être introverti, qui a une frousse incommensurable du rejet, ce qui l'oblige à ne maintenir habituellement que des relations superficielles, mais l'entrée en jeu de Rachel dans sa vie change la donne. En quelque sorte, sa crainte d'une souffrance affective contre laquelle il adopte régulièrement une stratégie d'évitement se déplace au contact de Rachel.

Greg a le sentiment de sa médiocrité ; que ce sentiment soit erroné ou non importe peu puisqu'il trouve un refuge dans la réalisation de films parodiques avec son ami Earl. D'abord parce qu'il veut que le regard des autres soit celui de son autodérision ; ainsi, il ne se sent pas jugé.

Là aussi, la finalité change : maintenant, il souhaite faire passer des moments agréables à Rachel. Ses films deviennent les moyens de sa compassion : enfin, il se décentre de lui-même et est attentif à l'autre. Son arc se dessine naturellement : replié sur lui-même, il se découvre un horizon d'amour et de lien qu'il sait essentiel bien que douloureux.

Pour conclure, considérons la biographie comme un point de départ peut-être et gardons-nous de ne jamais brider notre réécriture et laissons-nous quelques dimensions à fouiller dans nos thèmes et la fonction efficace des personnages au cours de l'intrigue.