Des Filles pour l'Armée (1965) de Valerio Zurlini

Le réalisateur italien Valerio Zurlini a su se faire une place alors que son pays est en plein Âge d'Or de son cinéma avec entre autre "Été Violent" (1959) ou "La Fille à la Valise" (1961). Le cinéaste revient sur une période aussi complexe que confuse de l'Histoire alors encore récente de son pays, à savoir la dernière période du fascisme sous Mussolini en adaptant le roman "Le Soldatesse" (1956) de Ugo Pirro, auteur déjà porté sur grand écran avec un film sur une thématique similaire "Cinq Femmes Marquées" (1960) de Martin Ritt. Le scénario est signé par le duo Piero de Bernardi et Leonardo Benvenuti qui retrouve leur réalisateur après "Les Jeunes Filles de San Frediano" (1955) et "La Fille à la Valise" (1962) et qui écrivent ce scénario entre "Mariage à l'Italienne" (1964) de Vittorio de Sica et le chef d'oeuvre "L'Incompris" (1966) de Luigi Comencini, ils écrivent aussi avec Franco Solinas fidèle de Gillo Pontecorvo dont "Kapo" (1960) ou "Queimada" (1969)... 1942 en Grèce alors occupée par l'armée italienne alliée de l'Allemagne nazie, le lieutenant Martino est dégoûté par le spectacle d'horreur de la guerre et ne semble plus savoir ce qu'il veut ou ce qu'il fait. Il désire être muté et il reçoit alors à contre-coeur un ordre d'escorter un convoi de prostituées destinées à divers bordel pour les soldats italiens. Il est accompagné d'un sergent plus expérimenté, et doit bientôt accepter un officier fasciste qui va prendre ses aises. Au fur et à mesure du périple, les hommes apprennent à connaître ces femmes qui n'ont pas toutes vraiment choisi leur destin... 

Le lieutenant est interprété par Tomas Milian révélé dans "Les Garçons" (1959) et "Le Bel Antonio" (1960) tous deux de Mauro Bolognini mais qui deviendra vraiment une star avec le western spaghetti dont "Colorado" (1966) et "Le Dernier Face à Face" (1967) tous deux de Sergio Sollima, son sergent est joué par Mario Adorf encore peu connu jouant la même année dans "Major Dundee" (1965) de Sam Peckinpah mais qui sera surtout connu dans les années 70 avec entre autre "Milan Calibre 9" (1972) et "L'Empire du Crime" (1972) tous deux de Fernando Di Leo, tandis que le major fasciste est joué par Aleksandar Gavricremarqué dans "Le Capitaine Lechi" (1960) et "Pont de la Dernière Chance" (1960) tous deux de Zivorad Zika Mitrovic. Les "filles" sont incarnées par deux françaises, Anna Karina muse de Jean-Luc Godard sur sept films entre "Le Petit Soldat" (1960) et "Made in USA" (1966), et Marie Laforêt alors en pleine ascension avec "Plein Soleil" (1960) de René Clément ou "La Chasse à l'Homme" (1964) de Edouard Molinaro. Suivent Lea Massari vue dans "L'Avventura" (1960) de Michelangelo Antonioni ou "Le Colosse de Rhodes" (1961) de Sergio Leone et qui retrouvera Zurlini dans "Le Professeur" (1972), Valeria Moriconi vue dans "Les Amoureux" (1955) de Mauro Bolognini ou "La Révolte des Gladiateurs" (1958) de Vittorio Cottafavi, Rossana Di Rocco qui retrouve Tomas Milian après "La Mer à Boire" (1963) de Renato Castellani et vue dans "L'Evangile selon Saint-Mathieu" (1964) de Pier Paolo Pasolini, Milena Dravic vue dans "Les Diables Rouges faces aux SS" (1962) de Veljko Bulajic ou "L'Homme n'est pas un Oiseau" (1965) de Dusan Makavejev, Mila Stanic vue dans "Le Fanfaron" (1962) de Dino Risi et "Le Jour de la Vengeance" (1964) de Sergio Grieco, puis enfin n'oublions pas une courte scène avec Guido Alberti vue dans "Huit et Demi" (1963) de Federico Fellini, "Main Basse sur la Ville" (1963) de Francesco Rosi ou "Angélique, Marquise des Anges" (1964) de Bernard Borderie... Le film débute avec des images fortes qui nous immerge d'emblée dans les horreurs de la guerre, le film en Noir et Blanc accentue le malaise avec des images dont il est difficile parfois de savoir si il y a des images d'archives. L'immersion est totale. Et en même temps, il n'y a nulle explication sur le contexte géo-politique, ce qui peut-être compliqué pour les néophytes mais le scénario est très bien écrit, assez pour qu'avec un soupçon de réflexion on perçoit les informations pour comprendre les forces en présence d'abord, et ensuite le pourquoi du comment les personnages en sont arrivés à cet instant de leur vie. Le réalisateur ne tombe ni dans la pathos ni dans le voyeurisme facile mais il ne détourne pas non plus les passages obligés et/ou logiques inhérents à la guerre mais aussi et surtout au travail vieux comme le monde de péripatéticienne. Il faut alors rappeler qu'à l'époque en Grèce, le pays est un des plus exsangues (avec l'U.R.S.S. et la Pologne) avec une perte humaine six à huit fois supérieure à la France par exemple, et que la famine y a été violente (environ 4% de la population en meurt).

Ce dernier paramètre va s'avérer essentiel pour comprendre le choix de certaines des femmes du convoi ; on pense d'ailleurs au western "Convoi de Femmes" 1952) de William A. Wellman qui serait transposé à l'occupation italienne en 1942. Les personnages sont merveilleusement écrit aussi, trois soldats d'âges et expériences différentes, mais surtout des femmes qui sont d'origines très diverses, certaines semblent à l'aise avec ou sans expériences de la prostitution d'ailleurs, mais surtout qui sont de fait des salariées de l'armée italienne et de fait, on s'interroge légitimement sur les raisons de s'engager sur un tel poste, que du plaisir pour les soldats mais tout l'inverse pour celles qu'ont voit alors comme des bêtes de sommes. L'intelligence du réalisateur est aussi, pourtant, de ne pas tomber dans la tragédie pure et instille quelques instants de légèreté (le couple avec le sergent/ Adorf et Ebe/Moriconi surtout), des rires parfois, du charme assurément. Mais le film reste un drame, la guerre est omniprésente, le risque amène à la peur qui touche même celui à qui on ne s'attend pas, le courage n'est pas forcément là où on le croit tandis que les cadavres sont comme des pantins. On a seulement du mal à croire à l'amour, surtout pas dans un laps de temps aussi court. Le doublage voix des deux actrices françaises n'est pas à la hauteur non plus. Néanmoins, le film est un drame prenant, avec des plans façon docu-fiction plus vrais que nature avec de l'émotion contenue, sans tomber dans le larmoyant facile mais au contraire avec de l'émoi, de l'effroi mais avec dignité. Un très bon et beau film.

Note :                 

Filles pour l'Armée (1965) Valerio ZurliniFilles pour l'Armée (1965) Valerio ZurliniFilles pour l'Armée (1965) Valerio Zurlini

16/20