Mouchette (1967) de Robert Bresson

Cinéaste français majeur avec quelques monuments du Septième Art comme "Les Dames du Bois de Boulogne" (1945), "Un Condamné à Mort s'est échappé" (1956) ou "Pickpocket" (1959), Robert Bresson adapte à nouveau un roman de Georges Bernanos après son film "Journal d'un Curé de Campagne" (1951), des années plus tard ce même romancier sera à nouveau adapté avec le film éponyme au roman "Sous le Soleil de Satan" (1987) de Maurice Pialat. Le réalisateur -scénariste explique son choix d'adapter le roman "Nouvelle Histoire de Mouchette" (1937) par le fait que l'absence de psychologie ou d'analyse lui permettait de concevoir le film avec sa vision des choses : "Ainsi la substance du livre m'était possible, elle pouvait passer à travers mes cribles. La psychologie faite avec des mots, c'est du roman, c'est du théâtre qui est, à l'écran, une hérésie. Chez les romanciers les plus grands : Stendhal, Flaubert, Balzac, Proust, la psychologie est forcément faite avec des mots." Certains y voient une suite à son précédent film "Au Hasard Balthazard" (1966) mais le cinéaste ne jamais avoir conçu ce film dans cet optique... Mouchette, jeune adolescente vit en campagne au sein d'un famille pauvre, avec un petit frère qu'elle adore, un père froid et rustre, et une mère mourante. Un soir d'orage alors qu'elle devrait être rentré elle est témoin d'une violente dispute entre le garde-champêtre et un braconnier. Un peu plus tard elle se retrouve à l'abri dans une cabane dans les bois, où se réfugie également le braconnier. Si la rencontre débute dans une certaine courtoisie, bientôt le braconnier ivre agresse Mouchette...

Comme souvent, le cinéaste fait appel à des amateurs, débutants et comédiens non-professionnels. Ainsi, le rôle titre est incarnée par Nadine Nortier dans ce qui reste son unique rôle avant de disparaître des écrans. Le braconnier Arsène est joué par Jean-Claude Guilbert qui retrouve Bresson aussitôt après sa première expérience dans "Au Hasard Balthazard" (1966) tandis qu'il apparaît également dans "Weekend" (1967) de Jean-Luc Godard. Le garde-champêtre Mathieu est joué par Jean Vimenet, peintre-animateur-sculpteur qui collabore entre autre avec Paul Grimault pour le film d'animation "La Bergère et le Ramoneur" (1951) qui amènera au mythique "Le Roi et l'Oiseau" (1979), et qui créera après le film une série d'oeuvres sur son expérience de tournage intitulé "Portrait d'un Film". Les parents de Mouchette sont interprétés par Marie Cardinal qui apparaît la même année dans "Deux ou Trois Choses que je sais d'Elle" (1967) de Jean-Luc Godard, mais qui sera surtout romancière dont deux oeuvres seront adaptées avec "La Clé sous la Porte" (1978) de Yves Boisset et "Les Mots pour le Dire" (1983) de José Pinheiro dans lequel elle aura également un petit rôle, puis Paul Hébert apparu notamment dans "La Vie Heureuse de Léopold Z." (1965) de Gilles Carle, "Un Eléphant ça trompe Enormément" (1976) de Yves Robert ou "Les Yeux Rouges" (1982) de Yves Simoneau. Puis enfin n'oublions pas une second rôle joué par Marie Susini, seul rôle pour la romancière à qui on doit entre autre "Un Pas d'Homme" (1957) ou "Les Yeux Fermés" (1964)... L'histoire se déroule dans une communauté très paysanne où la pauvreté est encore pregnante, dans une France encore très rurale qu'on pourrait situer aussi bien dans les années 30 (roman) que dans les années 60 (film) mais le fait que le cinéaste ait opté pour le Noir et Blanc impose une époque encore peu moderne qui peut aussi bien se perdre entre ces deux époques. Notons que la petit adolescente est parfaitement crédible avec une petite comédienne qui a pourtant déjà 19 ans lors du tournage. Le film a tout du mélo façon "Les Misérables" de Hugo avec une ado paumée, solitaire voire mutique, qui a priori ne reçoit pas tout l'amour qu'elle aimerait par un père peu présent mais l'image d'une génération peu à même de montrer ses sentiments ou à les exprimer, tandis que sa mère très malade n'assume plus grand chose dans la maisonnée. Son destin est donc lié à celui des autres puisqu'elle ne fait que survivre par l'action des autres, ce sera son malheur. 

Malheur sur malheur on pourrait vite tomber dans le pathos le plus larmoyant mais ce n'est pas le cas car Bresson est un cinéaste qui refuse justement ce diktat de l'émotion au forceps. C'est aussi pour cette raison que le cinéaste aime des acteurs "vierges" de tout artifice pour se focaliser sur une certaine pureté, un regard net et sincère sans en faire trop, en étant le plus simple et sobre possible ce qui peut paraître parfois un peu trop froid ou trop stoïque. Heureusement le cinéma de Bresson s'avère le pont nécessaire et idéal pour voir le fond des choses chez Bernanos, qui au contraire restera aussi inepte et glacial chez Pialat. L'intelligence de Bresson est dans les détails et notamment dans le symbolisme ou le hors-champs comme les lièvres chassés par le braconnier qui annonce que le prochain gibier traqué sera bien Mouchette, que les seuls sourires esquissés par Mouchette sont empreints d'un optimisme à venir (avenir ?!) avec la modernité des auto-tampons et la jeunesse et l'innocence de son petit frère. Par contre on peut rester perplexe sur une réaction "bizarre" lors de l'agression... ATTENTION SPOILERS !... après sorte de chat (le jeu) arrive un viol "peu violent" où la victime finit rapidement par étreindre l'agresseur, puis ils se quittent presque sans appréhension pour lui, sans peur ou colère pour elle... FIN SPOILERS !... Action-réaction peu communes et donc peu compréhensibles (qui coûte les quelques points finaux) pour de tels faits même si psychologiquement la petite ado va vite évoluer. Bresson signe un drame glaçant et clinique où on constate que les adultes vivent et agissent sans prendre en compte, sans même les voir, les enfants qui les entourent. Un film hypnotique, malaisant parfois, dans un style naturaliste qui fait ai froid dans le dos. A voir et à conseiller.

Note :                 

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17/20