Minority Report (2002) de Steven Spielberg

Ce film est avant tout né de la volonté de deux monstres sacrés de travailler ensemble, le réalisateur Steven Spielberg et l'acteur Tom Cruise qui cherche alors un projet depuis leur rencontre au milieu des années 80. Le déclic va arriver en 1999, Tom Cruise tourne alors "Eyes Wide Shut" (1999) de Stanley Kubrick et lit la nouvelle éponyme (1956) de Philip K. Dick, légende littéraire de la SF qui a déjà été porté sur grand écran avec deux grands films "Blade Runner" (1982) de Ridley Scott et "Total Recall" (1990) de John McTiernan. L'acteur lance alors l'idée et Spielberg accepte. Dès le départ Spielberg est si enthousiaste qu'il réunit pas moins de quinze experts de futur pour travailler sur le film et accentuer au maximum le réalisme de ce film d'anticipation et faire en sorte que 2054 soit le plus proche de ce qui sera plausible. Le scénario est écrit par Jon Cohen, lui-même romancier, et est rejoint par Scott Frank connu alors pour avoir signé les scénarios de "Malice" (1993) de Harold Becker, "Get Shorty" (1995) de Barry Sonnenfeld et "Hors d'Atteinte" (1998) de Steven Spielberg. Sur le temps d'écriture, Tom Cruise en profites pour tourner d'autres films dont "M.I. 2" (2000) de John Woo, tandis que Spielberg reprend un projet de Kubrick mort entre temps, ce sera "A.I. Intelligence Artificielle" (2001). Le projet est une énorme production qui fait parler, deux des plus grands de leur génération  n'ont ainsi pas de difficultés à réunir les 102 millions de dollars de budget. Le film est un succès, bien accueilli par la critique et le public suit amassant plus 360 millions de dollars au box-office Monde... 2054, à Washington, la société est devenue hyper sécuritaire grâce à une police qui s'est dotée d'un système de prévention/détection/répression nommé Précrime qui permet d'anticiper les crimes avant qu'il ne soit commis. Le système repose sur une fratrie de trois Pré-Cogs. John Anderton est un des piliers du service depuis la mort tragique de son fils. Mais un jour, Anderton reçoit comme nouveau "futur coupable" sa propre image qui tuera un homme d'ici trois jours. Devenu une cible il fuit, et va tenter de comprendre en enlevant un des trois Pré-Cogs, Agatha... 

L'officier Précrime pris au piège de son système est incarné donc par la star Tom Cruise qui remarqué la même année avec un caméo dans "Austin Powers dans Goldmember" (2002) de Jay Roach. Le directeur est interprété par un autre géant, Max Von Sydow acteur fétiche de Ingmar Bergman dans pas moins de onze films mais vu aussi dans "L'Exorciste" (1973) de William Friedkin, "Conan le Barbare" (1982) de John Milius ou "Intacto" (2001) de Juan Carlos Fresnadillo. La Pré-Cogs Agatha est incarnée par Samantha Morton remarquée dans "Accords et Désaccords" (1999) de Woody Allen, "Pandemonium" (2000) de Julien Temple ou "Eden" (2001) de Amos Gitaï. Parmi les collègues citons Colin Farrell en pleine ascension après "Tigerland" (2000) et "Phone Game" (2002) tous deux de Joel Schumacher et qui jouera d'ailleurs dans une autre version d'un Philip K. Dick avec "Total Recall : Mémoires Programmées" (2012) de Len Wiseman, Neal McDonough apparu dans "Star Trek : Premier Contact" (1996) de Jonathan Frakes ou "Vorace" (1999) de Antonia Bird, et Steve Harris vu dans "Rock" (1996) de Michael Bay ou "The Skulls : Société Secrète" (2000) de Rob Cohen. Citons ensuite Patrick Kilpatrick aperçu dans "The Toxic Avenger" (1984) de Lloyd Kaufman et Michael Herz ou "Piège à Grande Vitesse" (1995) de Geoff Murphy, Jessica Capshaw belle-fille de Spielberg aperçue dans "Mortelle Saint-Valentin" (2001) de Jamie Blanks, Lois Smith remarquée aux côtés de James Dean dans "À l'Est d'Eden" (1955) de Elia Kazan et vue depuis dans "Une Etrangère dans la Ville" (1955) de Mervyn LeRoy, "Chute Libre" (1993) de Joel Schumacher ou "The Pledge" (2001) de Sean Penn, Kathryn Morris vue dans "Pour le Pire et pour le Meilleur" (1997) de James L. Brooks, "Manipulations" (2000) de Rod Lurie et une partie de l'équipe de "A.I. Intelligence Artificielle" (2001), Peter Stormare remarqué dans "Fargo" (1996) et "The Big Lebowski" (1998) tous deux des frères Coen et qui retrouve Spielberg après "Le Monde Perdu" (1997), Tim Blake Nelson vu dans "La Ligne Rouge" (1998) de Terrence Malick et "O'Brother" (2000) des frères Coen et retrouvera Spielberg dans "Lincoln" (2012), George D. Wallace apparu dans "L'Homme qui n'a pas d'Etoile" (1955) de King Vidor, "Planète Interdit" (1956) de Fred M. Wilcox ou "la Tour Infernale" (1974) de John Guillermin, Dominic Scott Kay qui sera surtout connu comme fils du couple Will Turner et Elizabeth Swann dans "Pirates des Caraïbes : Jusqu'au Bout du Monde" (2007) de Gore Verbinski, Joel Gretsch aperçu dans "La Légende de Bagger Vance" (2000) de Robert Redford et "Le Club des Empereurs" (2002) de Michael Hoffman, puis Jessica Harper vue dans "Phantom of the Paradise" (1974) de Brian De Palma, "Suspiria" (1976) de Dario Argento et son remake plus tard "Suspiria" (2018) de Luca Guadagnino. Il y a également plusieurs caméos, le scénariste Scott Frank (client dans une salle de réalité virtuelle), le réalisateur Cameron Crowe (passager de bus) qui a dirigé Tom Cruise dans "Jerry Maguire" (1996) et "Vanilla Sky" (2001), puis Cameron Diaz (passagère du métro) qui était dans ce dernier film, puis Paul Thomas Anderson (passager métro) qui a offert une scène cultissime à Tom Cruise dans "Magnolia" (1999)... Malgré le matériau de base solide et reconnu de Philip K. Dick l'adaptation reste très libre et des différences notables et importances sont à noter entre la nouvelle et le film, dont certaines restent inutiles dans le sens où la version littéraire aurait tout à fait été gérable pour le cinéma. Quelques exemples : Précrime est une institution gouvernementale dans le livre mais un simple service de police dans le film, le héros passe du fondateur du système d'une cinquantaine d'année à un fringant trentenaire, les Pré-Cogs passent d'un trio déficient et méprisé à une fratrie lucide et intelligente, ou encore la fuite plutôt classique dans le livre est ici agrémentée d'un greffe oculaire. Des choix pas toujours judicieux (les Pré-Cogs) et d'autres presque nécessaires (la greffe, le livre datant des années 50). Mais le plus gênant ou le moins convaincant reste l'esthétique visuel pourtant voulu par Spielberg qui voulait que l'univers soit "une extension du monde actuel". L'un des consultants du film, expert du MIT John Underkoffler précise : "Le monde de Minority Report est plus réaliste, plus âpre, plus nuancé que celui que nous présentent si souvent les utopistes. Il constitue une toile de fond passionnante." Le cinéaste va plus loin et rappelle ce qu'il a indiqué à Janusz Kaminski, son fidèle Directeur Photo : "J'ai expliqué à Janusz que ce serait mon film le plus ténébreux, avec une image granuleuse, froide, ancrée dans l'univers âpre et brutal du film noir. Tout le contraire de la chaude atmosphère d"A.I. Intelligence Artificielle."

Et pourtant, on remarque que la noirceur visuelle est en contraste avec notre monde et donc on n'y voit pas "l'extension du monde actuel", et outre l'aspect granuleux on est gêné par une sorte de halo constant et omniprésent (choix délibéré du cinéaste en sur-éclairant) qui ne semble pas franchement probant au vu du sujet et du genre. Mais l'histoire prend vite une ampleur qui permet d'oublier un peu cet aspect visuel, le rythme particulièrement soutenu et l'intrigue digne d'un Film Noir est prenante, soulevant des interrogations autour du libre-arbitre et du tout sécuritaire. Mais on remarque aussi que Spielberg est encore sous influence kubrickienne, admirant celui qui lui a laissé les commandes de "A.I. Intelligence Artificielle" (2001) le réalisateur parsème son film de clins d'oeil et références au maître Kubrick et notamment et surtout à son film "Orange Mécanique" (1972), comme le nom du personnage de Max Von Sydow qui renvoie à l'auteur du roman Anthony Burgess et le plus voyant avec les écarteurs de paupières, mais on a aussi le gros plan de l'oeil de Agatha/Morton qui renvoie à "2001, l'Odyssée de l'Espace" (1968). Le film d'anticipation reste solide, multi-référencé, dynamique et ambitieux même si les choix visuels de Spielberg ne sont pas les meilleurs qu'il ait eu. Le duo Spielberg-Cruise offre un film de SF qui reste un thriller qui évite l'explosion pyrotechnique pour rester dans un enjeu plus terre à terre et humain avant de se retrouver dans un autre film de SF plus spectaculaire avec "La Guerre des Mondes" (2005). 

Note :                 

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16/20