“Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan” de Ken Scott

Ma mere Dieu et Sylvie VartanAu début des années 1960, Esther Perez (Leïla Bekhti) donne naissance à son sixième enfant, Roland. Mais au bonheur de cette naissance succède une certaine angoisse, car le bébé est né avec un pied-bot. Les médecins de l’époque prédisent qu’il ne pourra jamais marcher normalement. Esther refuse d’accepter cette idée. Elle emmène son fils chez tous les médecins de Paris, généralistes ou spécialistes, mais se heurte au même diagnostic. Au mieux, l’enfant sera appareillé pour pouvoir se mouvoir, mais devra vivre avec ce handicap.
Dès lors, Esther prie avec ferveur dans l’espoir que son fils puisse guérir. Hélas, Yahvé semble rester sourd à ses suppliques et le pied de Roland demeure désespérément difforme.
En attendant, le gamin reste cloîtré dans l’appartement familial, dans le XIIIème arrondissement de Paris. Il rampe d’une pièce à l’autre, apprenant la vie au contact de ses frères et sœurs plus âgés. C’est ainsi qu’il commence à nourrir une passion pour Sylvie Vartan, l’idole de ses grandes sœurs. Cette passion musicale l’aidera à tenir le coup, plus tard, quand, une fois un traitement finalement trouvé, il devra rester immobilisé de longs mois afin de redonner forme à son pied. Les chansons de l’idole des yéyés lui permettront de supporter l’alitement, mais l’aideront aussi à apprendre à lire.
Encore plus tard, Roland (incarné, adulte, par Jonathan Cohen) deviendra artiste, journaliste amateur, chroniqueur pour différents médias et un brillant juriste. Il aura, comme promis jadis par Esther, “un mariage formidable, des enfants formidables, une vie formidable”. Et il aura plusieurs fois l’occasion de rencontrer son idole de jeunesse, dont il deviendra proche.

Ce destin assez incroyable est pourtant une histoire vraie. Roland Perez n’est pas un personnage de fiction. Il est un avocat reconnu, ainsi qu’un chroniqueur de télévision et de radio très demandé (1). Longtemps, il a cherché à cacher son histoire, par pudeur, peur d’être jugé ou de gâcher la relation professionnelle nouée avec Sylvie Vartan. Mais c’est cette dernière qui, après avoir découvert la vérité, l’a poussé à en tirer un livre (2). Et c’est ce livre qu’a eu la bonne idée d’adapter pour le grand écran Ken Scott. Le cinéaste canadien en fait une comédie dramatique bien menée, en deux temps – l’enfance et l’âge adulte –, et portée par des personnages hauts en couleur et profondément attachants.

La première partie raconte les jeunes années de Roland mais est surtout centrée sur Esther et ses efforts pour en faire un enfant “normal”, rejetant les diagnostics médicaux hâtifs et les pressions pour le faire appareiller. Esther doit aussi affronter les autorités, car en refusant de scolariser son fils tant qu’il n’est pas capable de marcher, elle est dans l’illégalité. Elle doit notamment tenir tête à Madame Fleury (Jeanne Balibar), qui menace de placer Roland en famille d’accueil s’il n’est pas scolarisé comme les enfants de son âge. Mais finalement, à force de charme, de persuasion, d’effets de manche et de tirades mélodramatiques, elle réussit à repousser l’échéance, gagner le temps nécessaire pour que l’enfant réussisse à marcher.
Le tout est rythmé par les chansons de Sylvie Vartan, notamment “La Maritza”, que le jeune garçon écoute en boucle, au grand dam de son frère Jacques (Milo Machado-Graner, qui jouait l’enfant dans Anatomie d’une chute).

La seconde partie est plus focalisée sur Roland, adulte. Le jeune homme a réussi à surmonter son handicap et à mener de brillantes études de droit, comme sa mère l’avait prédit. Il rencontre sur les bancs de la faculté une belle jeune femme, Litzie (Joséphine Japy), qui deviendra son épouse et la mère de ses enfants. Il s’impose aussi comme un avocat doué, aux talents d’orateur sans doute hérités d’Esther. Le seul problème, c’est que cette dernière reste omniprésente dans sa vie. Elle possède la clé de leur appartement, s’immisce dans sa vie et celle de ses enfants. Elle s’est même autoproclamée assistante dans le cabinet d’avocats que Roland essaie de faire prospérer, parfois au grand regret de ses clients qui aimeraient davantage de confidentialité… Elle correspond en tous points au stéréotype de la mère juive de la culture populaire, débordante d’amour mais étouffante, surprotectrice et embarrassante, ancrée dans les traditions religieuses et familiales.
Alors qu’il a toujours été porté par cette mère poule, Roland éprouve aujourd’hui le besoin de “couper le cordon” pour vivre sa propre vie. Evidemment, ce besoin d’indépendance est mal vécu par Esther, qui se sent injustement rejetée, après avoir donné sa vie pour ses enfants et notamment pour ce petit dernier.
Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan est donc autant un beau récit de résilience face au handicap qu’une jolie chronique familiale, mettant en exergue l’importance de la figure maternelle pour l’épanouissement des enfants. Partant d’un parcours singulier, il devient un hommage universel à toutes les mères, qui consacrent toute leur énergie et leur temps à l’éducation de leurs enfants, se sacrifient pour leur assurer une belle vie. Ce message ne manquera pas de toucher les spectateurs, qui pourront se retrouver, un peu, beaucoup ou passionnément, dans cette histoire familiale.

Si le film est aussi réussi, cela tient moins à la mise en scène de Ken Scott, qui se contente d’accompagner le récit avec application et sobriété, sans effets mélodramatiques trop appuyés mais sans grande originalité, qu’au jeu des comédiens.
Leïla Bekhti est éblouissante dans ce rôle de mère aimante, guidée par son instinct maternel et sa foi en l’avenir. Il lui suffit de quelques regards pour faire passer les émotions et rendre compte de l’étendue de l’amour qu’Esther porte à ses enfants. Même grimée en femme âgée, dans la seconde partie, et affublée de prothèses un peu trop voyantes, son jeu continue de faire mouche et elle réussit encore à émouvoir.
Jonathan Cohen est lui aussi très bien dans le rôle de Roland adulte, partagé entre son amour pour sa mère et son besoin de prendre ses distances pour exister par lui-même.
Tous les autres rôles sont au diapason, de Jeanne Balibar, épatante en fonctionnaire psychorigide, mais plus humaine qu’il n’y paraît, au jeune Naïm Naji, qui incarne le petit Roland avec beaucoup de candeur et nous permet instantanément de nous attacher au personnage.

Cette version cinématographique de Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan devrait donner encore plus d’ampleur à l’incroyable success-story de Roland Perez, car elle possède tous les atouts pour séduire un large public, au-delà des fans de Sylvie Vartan et de l’avocat/chroniqueur médiatique : humour, émotion, scénario bien construit, dialogues ciselés et acteurs remarquables. On lui souhaite, en tout cas, un destin formidable.

(1) : Il est chroniqueur sur la Matinale Week-end d’Europe 1, après avoir travaillé avec  Helena Morna, Marion Ruggieri ou Sophie Davant (incarnée dans le film par Ariane Massenet)
(2) : “Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan” de Roland Perez – éd. Pocket


Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan
Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan

Réalisateur : Ken Scott
Avec : Leïla Bekhti, Jonathan Cohen, Joséphine Japy, Sylvie Vartan, Jeanne Balibar, Naïm Naji, Gabriel Hyvernaud, Lionel Dray, Anne Le Ny, Milo Machado-Graner, Ariane Massenet
Genre : Odyssée incroyable et hommage aux mères
Origine : France
Durée : 1h42
Date de sortie France : 19/03/2025

Contrepoints critiques :

”Au final, les admirateurs de Roland Perez ou les nostalgiques des tubes de Sylvie Vartan y trouveront leur compte, les autres risquent d’être déçus face à ce récit qui ne choisit jamais entre la saga familiale et le biopic d’une vedette médiatique.”
(Gael Golhen – Première)

”Tirée d’une histoire vraie, cette adaptation réussie du best-seller de Roland Perez met en scène Leïla Bekhti en mère totalement dévouée à son fils handicapé. Au côté de Jonathan Cohen, elle fait des étincelles.”
(Olivier Delcroix – Le Figaro)

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