Mort de Yves Boisset

Nous apprenons la mort d'un de nos grands réalisateurs, Yves Boisset nous a quitté ce jour du 31 mars 2025 à l'âge de 86 ans.

Né en 1939 à Paris le jeune Yves est le fils d'un couple de professeurs, lui prof de lettres avant de devenir Inspecteur de l'Instruction Publique, elle prof d'allemand. Son enfance est marquée par un drame terrible quand il avait 8 ans, son petit frère meurt après avoir avalé un médicament laissé traîner par leur grand-père. Il poursuit ses études jusqu'à hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand, mais à 17 ans, l'ambiance familiale délétère le pousse à quitter le domicile familial. Cherchant un boulot il se présente au journal "Paris Jour" où on lui confie la rubrique des chiens écrasés. Il fait alors le tour des commissariats pour prendre connaissance des faits divers : "J'ai compris en faisant les commissariats à quel point les faits divers étaient le reflet d'une société, que les faits divers en disaient beaucoup sur l'état d'une société à un moment donné. Et ça m'a passionné..." Mais il ne peut néanmoins échappé au service militaire qu'il effectue en Algérie.

Lorsqu'il revient sur Paris il persévère dans l'écriture et collabore à des revues comme Les Lettres Françaises et surtout à Cinéma et Midi-Minuit Fantastique qui l'amène à travailler avec Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier à la première édition de "Vingt ans de Cinéma américain" (1960). Puis il devient assistant-réalisateur avec "Le Vent se lève" (1959) de Yves Campi. Il adore l'expérience et parvient à continuer sur cette voie, multipliant les expériences en devenant aussi assistant entre autre sur les tournages des films "Le Colosse de Rhodes" (1961) de Sergio Leone, "L'Aîné des Ferchaux" (1963) de Jean-Pierre Melville, "Paris brûle-t-il ?" (1966) de René Clément ou encore "Quand l'Heure de la Vengeance sonnera" (1967) de Riccardo Freda.

Après avoir assisté Riccardo Freda sur "Coplan ouvre le feu à Mexico" (1967) on lui propose de réaliser son premier long métrage en solo et signe ainsi "Coplan sauve sa Peau" (1968) dont le succès doit beaucoup à une franchise alors à la mode. Ce premier essai lui permet ensuite de réaliser un giallo avec "Cran d'Arrêt" (1970) avec Bruno Cremer, avec dans la foulée son premier film "politique" avec "Un Condé" (1970 - ci-dessous) avec Michel Bouquet, un film où il dénonce les bavures policières et qui signe alors le premier jalon de son style réaliste et directement inspiré des faits divers réels. Le cinéaste connaît alors son premier conflit avec la censure.

Mais cela ne l'arrête pas et il poursuite avec la corruption à la mode corse dans "Le Saut de l'Ange" (1971) avec Jean Yanne, puis s'inspire de l'assassinat de l'opposant marocain Mehdi Ben Barka pour "L'Attentat" (1972) avec un casting de stars dont Jean-Louis Trintignant, Michel Piccoli ou Gian Maria Volonte et retrouvant Michel Bouquet et Bruno Cremer. Le tournage subi des pressions jusqu'à le blocage du financement et même des attentats lors des premières séances à sa sortie en salles mais finalement le film est un succès critique et public.

Il s'attaque ensuite à la façon que l'armée française traitait l'insoumission de ses appelés lors de la guerre d'Algérie avec "R.A.S." (1973 - c-dessous) avec Jacques Perrin. Le film est à nouveau sujet à polémique et subit la censure qui exige la suppression d'une scène de torture, tandis qu'un général porte plainte se reconnaissant dans une séquence d'humiliation (pour lui !), tandis qu'on lui impose une sortie au mois d'août, "sacrifiant" un éventuel succès mais contre toute attente le film est un nouveau succès avec plus de 1,3 millions d'entrées France.

devenu un réalisateur référencé comme provocateur gauche Yves Boisset débraie pourtant avec un thriller de facture plus classique avec "Folle à Tuer" (1975) avec Marlène Jobert, Tomas Milian et Victor Lanoux, mais revient aussitôt avec un nouveau pamphlet anti-raciste avec "Dupont Lajoie" (1975 - ci-dessous) avec Jean Carmet, Jean-Pierre Marielle, Isabelle Huppert, Jacques Villeret et retrouve Jean Bouise et Victor Lanoux. Le film est un nouveau scandale, la censure exige la coupe de trois passages pour éviter l'interdiction au moins de 18 ans, la sortie en salles connaît de nombreux échauffourées voir même des refus de diffusion par les exploitants devant le risque mais le film devient le plus grand succès de Boisset et obtient même l'Ours d'Argent spécial du Jury lors du Festival de Berlin.

Pour son prochain film, il soutient cette fois l'institution Justice avec "Le Juge Fayard dit "Le Shériff" (1977 - ci-dessous) qui s'inspire de l'assassinat du juge François Renaud en juillet 1975. Le casting comprend notamment Aurore Clément, Philippe Léotard, Jean Bouise et surtout Patrick Dewaere dont la rupture avec Miou-Miou pousse l'acteur dépressif vers une incarnation puissante mais qui fera dire à Boisset qu'il est en danger. Le film connaît une nouvelle censure essentiellement en coupant toute référence à l'organisation du SAC (Tout savoir ICI !). Conséquence, lors des séances en salles une partie du public scande "Le SAC ! Le SAC !" lors des bips qui remplace le terme, mais le cinéaste est aussi visé par des menaces jusqu'à être tabassé. Devant les risques et pour sauvegarder sa famille, le réalisateur s'installe en Irlande dans une ferme protégée par l'IRA, se disant que "même si l'armée britannique ne parvenait pas à toucher à ces endroits-là, les guignoles de Pasqua et du SAC n'y arriveraient pas non plus !" La dissolution du SAC en 1982 permet l'annulation de la censure et le film sera vu désormais avec le nom du SAC bel et bien prononcé et entendu. Mais alors en Irlande, Yves Boisset en profite pour tourner "Le Taxi Mauve" (1977) avec Philippe Noiret, Charlotte Rampling, Peter Ustinov et Fred Astaire pour un drame loin des polémiques dont le réalisateur s'est fait désormais une spécialité.

Après une comédie dramatique classique avec "La Clé sur la Porte" (1978) avec Annie Girardot et Patrick Dewaere le cinéaste revient à des sujets plus "sérieux" avec "La Femme Flic" (1980 - ci-dessous avec son actrice) avec Miou-Miou qui enquête sur un réseau de prostitution mais qui est entravée par un univers machiste. Puis il enchaîne avec "Allons Z'Enfants" (1981) avec Lucas Belvaux et Jean Carmet où un jeune antimilitariste fils de militaire est forcé par son père d'intégrer une école militaire à la fin des années 30. Ces deux derniers films sont de jolis succès. 

Il signe ensuite un film d'espionnage "sage" et sans polémique avec "Espion, Lève-Toi" (1982) avec Lino Ventura, Michel Piccoli et Bruno Cremer, puis il retrouve ses deux derniers fidèles acteurs pour "Le Prix du Danger" (1983) qui décrit un futur proche visionnaire sur l'avènement de la télé-réalité, puis il signe son meilleur polar sans polémique avec l'excellent "Canicule" (1984 - ci-dessous) avec la star hollywoodienne Lee Marvin, Tina Louise, Miou-Miou, Jean Carmet, Victor Lanoux, Grace de Capitani et Bernadette Lafont.

Le réalisateur-scénariste revient avec le polar "Bleu comme l'Enfer" (1986 - ci-dessous) avec Tchéky Karyo en flic aux méthodes violentes qui poursuit Lambert Wilson en militaire devenu gangster avec qui a fui la femme du premier. Le succès n'est pas au rendez-vous. Il revient avec une histoire aussi originale que bancale avec "La Travestie" (1988) incarnée par Zabou Breitman qui invente une grossesse pour spolier ses amants avant de partir à Paris devenir une travestie ! Le film est un échec cuisant mais il enchaîne pour le pire avec "Radio Corbeau" (1989) avec Claude Brasseur et Pierre Arditi sur une radio qui diffuse les secrets de la communauté, puis "La Tribu" (1991) avec Stéphane Freiss et Jean-Pierre Bacri sur une guéguerre entre deux médecins aux idées politiques opposés. Malheureusement ces derniers films sont les échecs les plus importants du réalisateur qui décide alors de se retirer du monde du cinéma.

Il n'est pourtant pas à la retraite et se réfugie à la télévision où il avait débuté avec un épisode de la série TV "Rouletabille" (1966) mais désormais il va s'y affairer de façon régulière en choisissant la plupart du temps des sujets historiques marquants avec des téléfilms allant de "L'Affaire Seznec" (1993) à son ultime "Douze Balles dans la peau pour Pierre Laval" (2009) en passant par "L'Affaire Dreyfus" (1995), "Le Pantalon" (1997) ou "La Bataille d'Alger" (2007).

En 1980, le cinéaste fait partie des personnalités qui prennent la défense des objecteurs de conscience dont le statut a été refusé allant jusqu'à assumer l'hébergement des objecteurs et le revendiquer. Dans les années 90 le cinéaste a tenté de monter un film sur l'affaire des torturées d'Appoigny (Tout savoir ICI !) mais il semble avoir stoppé ses recherches suite à des pressions.

En 2011 il publie son autobiographie "La Vie est un Choix".

Le réalisateur-scénariste aura été à l'instar de son confrère de la même génération Costa-Gravas un des plus virulents réalisateurs, engagés politiquement usant parfois de la simple provocation mais aussi de l'ironie ou d'un ton plus acerbe pour dénoncer et pointer du doigt les dérives de notre société. Les années 70 sont son âge d'or et composent un portrait de la France d'alors sans concession.

Yves Boisset est mort ce lundi 31 avril 2025 à l'âge de 86 ans dans un hôpital de Levallois-Perret où il était soigné depuis quelques jours.