[Critique] Edvard Munch

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LE CRI DE PETER WATKINS

C’est avec l’agilité d’un bretteur que Peter Watkins, à l’aide de son glaive, vient transpercer l’histoire du cinéma et de la peinture à la fois ! Ce dernier déjà connu notamment pour son Punishment Park en 1971 et La Commune en 2001 est devenu un mythe tant parce qu’on lui reprochait de coller d’un peu trop près à la réalité dans ses films mais aussi par la rareté de ces entretiens avec la presse.

Le film, réalisé en 1973, connaît à l’époque de gros problèmes de distribution. Malheur ! Il ne reste aucune copie sous-titrée en français, exceptée une seule, mais inutilisable, car l’ancien distributeur a détruit les copies après avoir fait faillite ! Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que les droits du film sont renégociés.

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Il ressort alors en février 2005 pour abreuver les pupilles d’un public sensible aux « peintures de l’âme ! »

 Un sujet qui peut paraître plus personnel et moins politique que ses films précédents et pourtant…. Il trouve ici l’objet idéal pour illustrer des émotions intrinsèques avec une acuité déroutante. Une reconstitution historico-documentaire, genre qu’il a inventé, et qui sera repris, entre autres, par les Monty Python dans une utilisation burlesque.

 Par la vie tourmentée du peintre norvégien Edvard Munch (interprété magistralement par Geir Westby, acteur non professionnel), il a su aborder des sujets aussi sensibles que les rapports humains, la vie socio-politique de la Norvège au XIXème, la maladie, la considération de la modernité artistique et enfin le désir, l’amour, l’engagement et le sexisme (ici même le mariage est remis en cause.) La vie de l’artiste contient de nombreuses corrélations avec celle de Watkins, autant en termes de métier, que d’hostilité avec les médias. Précurseur de l’expressionnisme, Munch a subi les quolibets des critiques d’art et il en est de même avec Watkins et sa nouvelle forme cinématographique. Afin de rendre le film plus humain, le réalisateur a contacté un artiste peintre du nom de Bruce Clark (ce dernier travaillant autour des notions d’histoire, de mémoire, d’engagement personnel, de médias et de politique.) Le film a donc été abordé de front quant à l’acte de création, aux questions politiques et aux différentes démarches artistiques.

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Ce qui intéresse Watkins par dessus tout sont les parties escamotées par les histoires officielles. Il n’a pas cherché à produire une biographie artistique d’Edvard Munch mais a choisi de filmer son environnement, le courant politique et artistique de l’époque ainsi que sa vie amoureuse. Un défi pleinement accompli car, avec son grand frère Le mystère Picasso (1955) d’Henri Georges Clouzot, personne n’avait représenté l’acte de création avec autant de finesse ! Un autoportrait du peintre qui, soudainement, prend vie et nous voilà impliquer dans son funèbre quotidien. Nous existons à travers le pinceau et les tourments de l’artiste, une mosaïque de flash-backs, un son presque continuellement en décalage avec l’image.

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Les décors, costumes et situations historiques sont minutieusement reconstitués mais l’ensemble est volontairement interrompu par l’intrusion d’une voix off journalistique (celle de Peter Watkins) qui interview les personnages en direct. Un aspect documentaire où chacun a son mot à dire, où les femmes dévoilent leurs idées d’indépendance, où les citoyens offrent le triste schéma de leurs vies, où les amateurs d’art expriment leur avis. C’est une manière très audacieuse d’injecter des informations spatio-temporelles et contextuelles dans un récit qui pourrait très bien s’en passer. On note aussi des effets incessants de regard caméra de l’artiste, il est à la fois dans la scène et pas tout à fait présent par ce regard lointain. Une manière élégante de perturber le spectateur quant à la place du personnage de Munch dans la fiction.

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Edvard Munch est aussi un film romantique et mélancolique. Notre gandin erre dans les rues d’Oslo comme le spectateur dans les catacombes de son esprit. Par sa première toile « L’enfant malade », qui sera qualifié plus tard « expressionniste », Munch tente à la fois de se souvenir (de sa sœur agonisant) et d’oublier (sa relation passionnée et déchirante avec Mme Heiberg.)

Avec cette madame Heiberg (Gro Fraas) il se noie dans une relation fondée autour du désir et de la frustration. Une « amourette » qui sera pourtant fondamentale dans la vie artistique du peintre, chose largement ignorée aujourd’hui par les historiens. On assiste à sa dégradante jalousie, sa petite mort et, parallèlement, au paroxysme de son art.

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Mais il n’y a pas que sa vie amoureuse qui respire le tourment ; sa vie familiale porte lui aussi ce parfum d’amertume, de souffrances et de non-dits… Un père froid et absent et surtout une enfance foudroyée par la maladie et la mort (de sa mère alors qu’il n’était âgé que de 5 ans puis de sa sœur Sophie.) Une maison reflétant l’ambiance familiale glaciale d’une bourgeoisie norvégienne du XIXème siècle dont le peintre va rapidement fuir les valeurs moralisatrices et puritaines pour celles bien plus marginales de la jeunesse de Christiania (Oslo.) Des ralliements où Munch se régénère et fait des rencontres importantes, comme notamment, celle de Mme Heiberg.

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Un film qui touche de plein fouet par sa dimension documentaire mais aussi qui nous permet de nous familiariser avec le grand Edvard Munch par une fiction au lyrisme irradiant ! Un équilibre parfait entre la critique sociale de la Norvège du XIXème siècle – mise en parallèle avec notre époque – et l’émouvant portrait du peintre … mais surtout de l’homme ou plutôt des hommes…