[Critique] In the loop

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Un ministre un peu hagard sort d’une réunion dans laquelle il vient de faire de la figuration. Vexé d’avoir ainsi été traité, il décide de parler aux journalistes, librement. Il leur dit alors :  » Pour l’avion dans le brouillard, la montagne est imprévisible mais soudain bien réelle et imprévisible ». Imprévisible, voilà le mot qui a déclenché toute l’affaire et qui provoque la panique au plus haut sommet de l’état britannique. Imprévisible, c’est la guerre qui se prépare contre un pays du Moyen Orient. Et toutes les moyens sont bons pour partir au combat même si les arguments anti-guerre ont plus de poids que ceux de dirigeants bellicistes. Bien entendu, toute similitude avec un conflit passé n’est pas fortuite.

Le mot Irak n’est d’ailleurs jamais prononcé et pourtant on y pense à chaque seconde. Armando Iannucci, le réalisateur de cette incroyable farce politique, adapte avec succès la série dont il était l’un des auteurs, The Thick of it. Soit les tribulations de Malcom Tucker, conseiller en communication du premier Ministre anglais,  chargé de vendre à tout prix la guerre au monde entier, utilisant pour cela un ministre falot et un peu crétin flanqué de son conseiller fraîchement arrivé. Le tandem s’envole pour Washington rencontrer les dirigeants américains parmi lesquels le secrétaire d’état à la Défense et son équipe de choc.

C’est une comédie, hilarante, dont les dialogues seront à décortiquer tant ils sont brillants, caustiques et parfaitement « british ». Un scénario éblouissant, écrit à quatre mains, extrêmement bavard où les personnages se jaugent, s’insultent, se tournent autour pour finalement se bouffer les uns les autres. Tous ceux qui envient les politiques risquent fortement d’être désappointés par le tableau brossé par le cinéaste. Un monde de fous, à proprement parler, peuplé de créatures cyniques et sans foi ni loi mais surtout totalement déconnectés d’un monde qu’ils n’ont plus l’air de comprendre, acteurs malgré eux d’un théâtre de guignols. Lorsqu’ un général de l’armée américaine discute avec une secrétaire d’état au sujet du nombre de soldats envoyés au front, au milieu d’une chambre d’enfants et avec un jouet comme machine à calcul, l’asile semble proche. Et pourtant, des sénateurs américains auraient déclaré à la sortie de la projection que « c’est comme cela que ça s’est passé ».
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Un directeur de la communication qui manipule son monde et qui est finalement le vrai dirigeant, est-ce proche de la réalité ? Le personnage de Malcom Tucker, génialement interprété par Peter Capaldi, qui jure et insulte plus que tous les personnages de Scorsese et Tarantino réunis, serait inspiré d’Alastair Campbell, le dir’ com de Tony Blair de 1997 à 2003. Celui-ci a trouvé que le film donnait un visage grossier et vénal de la politique. Il donne surtout le tournis grâce à un humour ravageur et d’une rare férocité.

A la fin, on sort harassé et presque gêné d’avoir tant ri car tout ceci fait terriblement froid dans le dos. Malcom Tucker a cette phrase sans appel : « Celui qui n’a qu’un renseignement est le roi ». Et il gagne. Un mensonge éhonté parvient à triompher de ceux qui osent croire encore en la politique, au sens noble du terme. Mais la noblesse est bien la dernière préoccupation d’hommes et de femmes qui n’ont qu’un seul et unique objectif : le pouvoir. Armando Ianucci nous propose d’en rire. Il serait inconvenant de refuser l’invitation.