La cinéaste du film qui nous intéresse aujourd’hui s’appelle Ounie Lecomte. Ounie est le prénom que lui ont donné ses parents coréens. Lecomte est le nom que lui a apporté sa famille d’adoption française.
Alors qu’elle avait environ huit ans, sa grand-mère et son oncle l’ont emmenée en promenade, l’entourant d’affection et cédant à tous ses caprices en cours de route, puis l’ont laissée dans la cour d’un orphelinat, sans adieux, sans explications, laissant à l’institution religieuse le soin de la placer auprès d’un couple étranger…
Cet abandon douloureux a inspiré à la réalisatrice le scénario d’Une vie toute neuve, une fiction aux très forts accents autobiographiques. Nous sommes en 1975, en Corée du Sud. Jinhee, une fillette de neuf ans, est abandonnée par son père dans un orphelinat catholique.
Au début, elle reste mutique, prostrée, incapable de comprendre ce qui se passe réellement. Elle est persuadée que la situation n’est que passagère, que son père va revenir la chercher. Il ne peut pas en être autrement. Puis elle réalise peu à peu qu’il ne reviendra jamais et qu’elle n’a guère d’autre horizon que d’être adoptée par un couple étranger si elle ne veut pas finir comme servante exploitée dans une maison coréenne, comme l’une de ses infortunées camarades…
Le film ne montre rien de son passé, de ses parents, de son foyer précédent. Juste le trajet jusqu’à l’orphelinat. Et il ne montre rien de ce que sera son avenir en France. Là encore, on verra juste le voyage qui mène la gamine de Séoul jusqu’à un aéroport parisien… Le récit se concentre juste sur les mois de transition entre ces deux vies opposées, sur deux continents différents, dans des milieux différents… Pour Jinhee, cette période est à la fois difficile et nécessaire, perturbante et enrichissante. Elle correspond à la sortie de l’innocence enfantine et à la confrontation avec la dureté du monde extérieur, avec ces adultes qu’elle ne comprend pas vraiment. Pourquoi sont-ils ainsi obligés de mentir, de trahir, d’abandonner ceux qu’ils aiment ? Pourquoi l’amour n’est pas comme dans les contes, partagé et éternel ? Pourquoi la plus âgée des pensionnaires, fille timide et handicapée, sombre-t-elle soudain dans la dépression et les pulsions autodestructrices ?
Toutes ces questions agitent la fillette, qui voit encore le monde à travers des yeux d’enfant, naïfs et apeurés. Quand le psychologue lui demande pourquoi elle pense être à l’orphelinat, elle explique que ses parents l’ont rejetée parce qu’elle a involontairement provoqué la blessure de son demi-frère nouveau-né avec une épingle. Absurde, évidemment, mais l’incident, et l’engueulade qui a suivi, ont fait naître chez la petite fille un profond sentiment de culpabilité, qu’elle a ensuite rattaché de façon erronée à son sentiment d’abandon.
Jinhee va devoir comprendre que la situation n’est pas de sa faute, qu’elle ne doit pas se sentir coupable de quoi que ce soit, puis elle va devoir accepter l’idée que tout ce qu’elle a connu jusqu’alors est désormais de l’histoire ancienne, un passé révolu à tout jamais, sans aucun espoir de retour en arrière. Enfin, elle va être obligée de laisser derrière elle tous les nouveaux repères que lui offre l’orphelinat, pour accepter un nouveau changement de vie, encore plus radical, dans un nouveau pays, une nouvelle culture.
Un véritable chemin de croix, éprouvant, difficile…
L’expression est ici loin d’être galvaudée. Il y a bien quelque chose de christique dans le récit de cette transformation forcée, ce passage à l’âge adulte particulièrement douloureux. Le film flirte constamment avec cette idée, et le motif de la croix est d’ailleurs omniprésent dans les compositions d’images.
Le centre où vivent les enfants est une institution religieuse catholique et le prêtre, lors d’une messe, évoque la Passion du Christ et l’abandon du Père Tout-Puissant, citant la supplique de Jésus sur la croix : « Eloï, Eloï, lama sabbaqthani ?» (Père, pourquoi m’as-tu abandonné ?…). Une interrogation qui fait écho aux questions que se pose la fillette sur les raisons qui ont poussé son père à la quitter ainsi, sans explications.
Et comme le Christ, Jinhee va devoir mourir pour mieux renaître. Ou du moins flirter avec l’idée de sa propre mort, simuler son enterrement. Elle va creuser un trou et s’y ensevelir totalement, pour en ressortir plus mature, prête à se laisser adopter, à redémarrer une nouvelle vie, ailleurs… Rien n’est éternel, mais tout peut recommencer, différemment. L’oiseau blessé que Sookhee et elle avaient recueilli au début de l’hiver a fini par mourir, mais bien d’autres oisillons accueilleront le printemps avec leurs gazouillements…
Une vie toute neuve est un récit de deuil et de renaissance entremêlés, interdépendants, qui porte à la fois beaucoup de douleur et beaucoup de douceur. Un paradoxe relayé par les lieux eux-mêmes, qui évoquent autant une prison qu’une école. La vie s’y déroule normalement, avec son cortège de moments difficiles et de joies enfantines, d’autorité et de tendresse. La cinéaste capte ces petits instants suspendus avec une sensibilité rare et, évidemment, beaucoup de sincérité. On sent qu’Ounie Lecomte éprouvait un besoin viscéral de mettre en images cet épisode de son passé, d’exorciser ses traumas enfantins, et c’est absolument bouleversant. On sent également l’influence et la patte de Lee Chang-Dong, le réalisateur de Peppermint Candy ou Secret Sunshine, ici coproducteur du film, dans certaines options de mise en scène, notamment dans les cadrages, toujours à bonne distance des personnages.
Grâce à cette réalisation pudique et d’une grande précision, grâce aux comédiennes, épatantes – surtout l’actrice principale, la jeune Kim Saeron, dont le visage exprime toute la colère et le désarroi du personnage – grâce aussi à la portée universelle de cette histoire d’abandon et de déracinement, Une vie toute neuve nous touche, nous emporte, nous bouleverse. Il s’agit assurément d’un très beau film, à découvrir en salles dès à présent…
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Une vie toute neuve
Réalisateur : Ounie Lecomte
Avec : Kim Saeron, Park Doyeon, Park Myeong-Shin
Origine : France, Corée du Sud
Genre : Autobiographie
Durée : 1h32
Date de sortie France : 06/01/2010
Note pour ce film : ˜˜˜˜˜™contrepoint critique chez : – (pas trouvé…)
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